Ligue 1

Suicide, dépression, solitude : pourquoi la préparation mentale devient-elle primordiale ?

Voilà maintenant plusieurs années que la santé mentale est devenue un véritable sujet majeur dans notre société. Si les langues commencent à se délier, le monde du football a encore un train de retard pour mieux prévenir les risques. Solitude, dépression, suicide… Les rebondissements d’un milieu sévère peuvent parfois avoir des conséquences terribles sur les différents acteurs du ballon rond. Mais certains pays commencent à prendre ce problème au sérieux et cherchent ainsi des solutions.

Par Valentin Feuillette
12 min.
Le ballon de la Ligue 1. @Maxppp

«Tout au long de ma carrière, j’ai été en dépression. Pour comprendre cela, il faut remonter à quand j’étais jeune ! À mon enfance, je n’ai pas eu d’affection. Quand mon père m’a eu dans ses bras, la première chose qu’il a dite était : 'ce bébé sera un incroyable joueur de football’. Il m’a façonné, il était dur. À 13 ans, je joue, je gagne un match 6-0, je marque les six buts mais c’était toujours ce que je n’ai pas fait qui comptait. J’ai toujours eu la peur et l’impression de plaire aux autres grâce à mon football, mon argent jusqu’au jour où ma copine et mes enfants ont tous commencé à pleurer pour la personne que je suis. Et là tu te sens humain», a confié Thierry Henry dans un entretien accordé à Steven Bartlett sur YouTube en janvier dernier. Si la légende d’Arsenal et de l’Equipe de France n’est pas le premier sportif à parler de ces thèmes majeurs de santé mentale, la portée de son discours a été considérable, en raison du poids et de la stature de l’actuel sélectionneur des Bleuets dans l’histoire et le monde du football. Il n’est pas surprenant que les carrières sous haute pression, soumises à l’attention constante du public et des médias, entraînent des symptômes de mauvaise santé mentale. Une étude de la FIFPRO de 2015 a révélé que 38 % des joueurs actifs ont ressenti des symptômes de dépression, avec un manque évident de soutien perçu dans l’industrie.

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La dépression, un tabou mis en lumière

L’entraîneur de la Juventus, Massimiliano Allegri, a récemment admis que certains de ses joueurs, y compris des joueurs du centre de formation âgés d’à peine quatorze ans, souffraient de dépression à la suite de la pandémie de COVID-19. Au Royaume-Uni, le milieu de terrain d’Everton, Dele Alli, et l’attaquant de Tottenham, Richarlison, ont récemment parlé de leur fardeau psychologique, tandis que la saison dernière, l’ailier de Borussia Dortmund, Jadon Sancho, a dû s’éloigner des pelouses un temps pour faire face à ses difficultés personnelles. Qu’il s’agisse de la pandémie du COVID-19, de l’utilisation et des abus croissants via les réseaux sociaux ou simplement des exigences quotidiennes liées à la pratique du sport le plus populaire au monde, de nombreux footballeurs ressentent une pression sur leur santé mentale. Ces problèmes ont amplifié les discussions autour du bien-être des joueurs et ont conduit le comité britannique de la santé et des services sociaux à lancer une enquête sur la santé mentale et physique des hommes : «Les dépressions sont liées au fait de pratiquer quelque chose et de ne pas être heureux. Il faut faire un travail de fond. C’est un peu comme dans le monde du travail classique où on parle de bienveillance. Est-ce qu’aujourd’hui le monde du football est bienveillant pour les joueurs de foot ? J’ai coutume de dire qu’être footballeur professionnel ou même amateur n’est pas facile. C’est très dur psychologiquement», nous confie Laurent Edriat, coach mental pour des joueurs professionnels.

Les jeunes joueurs sont particulièrement touchés par les problèmes de santé mentale. C’est en grande partie pour cette raison qu’Eni Shabani a fondé en 2017, «Rising Ballers», aux côtés de son frère Brendon Shabani et Jamie Pollitt. RB est une organisation médiatique de football basée à Londres qui se présente comme la voix de la génération Z et touche plus de 90 millions de fans par mois, dont la majorité est âgée de quatorze à trente ans. Cette initiative a été créée pour donner aux jeunes joueurs la représentation et le soutien qui manquaient à Brendon Shabani, alors qu’il était encore qu’un jeune joueur parcourant les académies de football à la recherche d’un premier contrat professionnel : «Le joueur est perdu et il n’a pas souvent les codes du football. Il ne comprend pas trop ce qu’il se passe même s’il essaye. Ce n’est pas un problème de travail car les joueurs travaillent beaucoup, c’est un problème de vision. Tant qu’ils n’auront pas la bonne vision, le bon comportement dans leur environnement, ils ne peuvent pas être performants. Si les joueurs pouvaient être heureux en pratiquant leur sport, il y a beaucoup de problèmes qui pourraient être effacés», poursuit Laurent Edriat.

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L’étude de Rising Baller montre que 93 % des consommateurs de football de la génération Z pensent que les footballeurs ont du mal à exprimer ce qu’ils ressentent, et que seulement 27 % des clubs mettent suffisamment de choses en place pour soutenir leurs joueurs. Même s’il reste un long chemin à parcourir avant que le football ne devienne un espace inclusif où la santé mentale et le bien-être sont ouvertement développés et discutés, des ajustements sont en cours et l’espoir que les multiples enquêtes lancées par les différents gouvernements sur la santé des hommes conduisent à de plus grands changements qui permettront aux générations futures de s’épanouir : «Les joueurs mettent des choses en place, ils essayent de se débrouiller dans leur coin, ils en parlent à leur famille qui leur trouve des idées. Tout le monde met la main dans le truc en leur disant de faire ceci, de faire cela. Tout le monde se trompe, le diagnostic de départ n’est pas le bon et cela renforce la grande difficulté. Je ne dis pas que l’entourage est nocif mais l’entourage ne sait pas et en voulant bien faire, ils aggravent le problème», juge Laurent Edriat.

Solitude et suicide, conséquences d’un problème invisibilisé

Selon Rising Ballers, 73 % des joueurs licenciés d’un club déclarent avoir reçu peu ou pas de soutien de la part de leur équipe, de leur club et/ou de leur manager. L’histoire de Jeremy Wisten a été un triste élément déclencheur en Angleterre. Ce dernier était un défenseur central de l’académie de Manchester City. Il rêvait de devenir un pilier défensif sous Pep Guardiola mais après une grave blessure au genou en 2018, il a finalement été libéré par le club mancunien. Cet échec a eu des conséquences terribles et en 2020, Jeremy Wisten s’est suicidé de manière choquante, quelques jours seulement après avoir célébré son anniversaire avec son meilleur ami Tyrhys Dolan. Actuellement milieu de terrain offensif chez Blackburn Rovers, Dolan consacre désormais sa vie hors du terrain à la sensibilisation à la santé mentale et au bien-être : «Il faudrait que les coachs fassent kiffer les jeunes. Je sais qu’il y a une nouvelle génération de jeunes coachs qui sont dans cette vision du kiff. Les jeunes joueurs, eux ce qu’ils veulent, c’est de ne pas trop galérer. Aujourd’hui, le football est trop stratégique et programmé. Les artistes ont du mal à s’exprimer dans le football. Il faut faire ceci, il faut faire cela. C’est trop codifié car ils doivent rentrer dans un moule. Si tu n’y rentres pas, tu as des difficultés car tu ne vas pas jouer ou alors tu vas être forcé de rentrer dans ce moule. C’est une partie de l’identité du joueur artiste technique qui ne peut pas s’exprimer. C’est comme ça que les jeunes joueurs tombent dans un état dépressif car ils ne vont pas bien», explique Laurent Edriat.

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En France, la tentative de suicide d’Alexis Beka Beka en septembre dernier avait profondément marqué l’actualité footballistique. Le joueur des Aiglons avait menacé de se jeter du viaduc de Magnan sur l’autoroute A8, dans le sens Italie-Aix-en-Provence, avant d’être fort heureusement pris en charge par la gendarmerie et les sapeurs-pompiers : «Il y a des joueurs qui tentent beaucoup car ils n’arrivent pas à avoir des statistiques. Quand l’ego commence à jouer au foot à la place du joueur, il y a forcément des problèmes. Quand l’ego prend les commandes, il y a des dribbleurs qui prennent le ballon, qui partent, qui ne voient pas leurs coéquipiers et qui continuent à jouer leur propre football». En Angleterre, en plus de Rising Baller d’Eni Shabani, Callum Hosier, ancien joueur passé par les classes d’Arsenal, essaie également de trouver des moyens d’aider à endiguer le flux d’anxiété, de dépression et de stress en mettant en place des routines mentales saines pour les footballeurs. Devenu instructeur de yoga certifié, il a fondé le programme de cours «Football Yogis», où il combine le yin yoga, style plus lent qui se concentre sur la respiration, et le vinyasa flow. Un moyen d’aider les joueurs à se détacher et à s’abandonner pendant quelques minutes de calme et de détente.

Le rapport Next Wave de Rising Baller, qui a collecté des données auprès de plus de 1 000 jeunes et joueurs, indique que la probabilité qu’un des 12 000 joueurs de l’académie britannique devienne professionnel est inférieure à 0,5 %. Cela crée une pression et une détermination qui suppriment souvent les émotions et relient l’identité personnelle au football. Les joueurs ont peur d’exprimer leurs sentiments parce qu’ils ne veulent pas perdre leur place dans l’équipe et ont souvent l’impression qu’il y a peu de soutien émotionnel de la part des dirigeants ou des coachs. Ajoutant au stress, 73 % des joueurs pensent qu’il existe un harcèlement sur les footballeurs. Finalement, les rares périodes d’arrêts ou les blessures peuvent faire remonter les émotions à la surface, laissant les joueurs submergés de stress, d’anxiété ou de dépression : «Le problème doit être traité en amont. Il faut faire en sorte que les joueurs ou les artistes et même ceux qui ne le sont pas puissent exprimer leur propre identité. Il ne doit pas y avoir que l’identité d’un joueur ou la philosophie d’une équipe et d’un coach. Les joueurs doivent se sentir partie prenante pour se sentir bien dans cet environnement», précise Laurent Edriat.

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La préparation mentale, nouvelle solution aux maux

La FIFPRO a lancé un projet pilote sur la santé mentale pour aider les syndicats de joueurs à développer et mettre en œuvre un processus visant à promouvoir la sensibilisation à la santé mentale. La FIFPRO mène également une étude observationnelle à long terme sur la survenue de problèmes de santé mentale chez les joueurs. Lorsqu’il est question de santé mentale, chaque personne et chaque joueur est différent, et il n’existe pas de solution universelle. Des mesures proactives doivent être prises pour éduquer l’industrie dans son ensemble sur la détection et le traitement avec compassion des symptômes d’une mauvaise santé mentale. «Il y a énormément d’écoute, il faut aider le joueur à poser des mots sur ce qu’ils expriment, très souvent il y a un mal-être. Quand on m’appelle, ça veut dire que ça ne va pas bien. Mais je préférerais qu’on m’appelle quand tout va bien, cela permettrait d’aller encore plus vite à l’objectif. Quand ils vont mal, ils sortent à peu près tout et n’importe quoi. Ils sont persuadés de savoir pourquoi ils vont mal. Ils pensent savoir pourquoi mais s’ils sont avec moi, c’est que souvent ils n’ont pas la bonne raison», analyse Laurent Edriat.

La connectivité constante et les comparaisons inévitables du monde numérique créent des facteurs de stress et d’anxiété supplémentaires. À mesure que les jeunes joueurs s’enfoncent plus profondément dans le système académique, ils sacrifient la socialisation normale avec les jeunes de leur âge et même parfois au détriment de leur propre éducation. Cette peur vient de cette crainte de tout perdre du jour au lendemain, de passer de la grande pépite de l’équipe à l’éternel espoir gâché : «Les réseaux sociaux, c’est surtout un problème pour l’entourage, la famille, les proches rarement pour les joueurs, les joueurs quand ils sont impactés par les réseaux sociaux. C’est que ça impacte avant tout leurs proches et quand leurs proches ne vivent pas très bien l’article ou l’interview là ça touche vraiment le joueur et souvent son mental peut être impacté. Il peut changer sa façon de penser. Son état d’esprit va changer. Son comportement va changer. Il risque de se renfermer d’être agressif d’en vouloir à tout le monde et de voir des ennemis partout. Voir ses proches sa famille qui ont de la peine. Le joueur peut aussi essayer de les protéger en évitant de se mettre en lumière pour ne pas attirer les sollicitations. C’est ce que j’appelle se mettre à l’abri du succès», nous détaille Laurent Edriat, qui a travaillé avec de nombreux joueurs professionnels.

Véritable développeur de performance au service des joueurs, Laurent Edriat transforme les carrières de joueurs de football de Ligue 1 et Ligue 2 en leur faisant exploiter le maximum de leur potentiel et cela depuis 2011. Il a notamment fondé la plateforme MentalFoot qui permet de booster la performance en optimisant l’environnement du joueur et en adaptant le programme à l’identité du joueur : «La préparation mentale permet aux joueurs de développer de la performance mais aussi de créer de la valeur pour le joueur et pour le club. Si on prend l’exemple du PSG ou de l’OM, il y a beaucoup de joueurs qui n’arrivent pas à s’acclimater. Ils ont été achetés plusieurs millions mais ils ne donnent pas une satisfaction pleine et entière dans l’équipe donc ils vont être revendus, parfois moins chers, alors qu’ils n’ont jamais réellement eu l’opportunité de s’exprimer. La préparation mentale permet aussi de régler cela. Il y a toujours une frilosité à l’idée de travailler avec nous. Ils ne savent pas trop ce que signifie le mental. On imagine et diabolise des choses quand on est coach, agent ou joueur mais ils savent rarement ce que c’est car ils n’ont jamais vraiment touché au produit. Forcément quand on ne connaît pas, on a peur et donc on ne fait pas. Il faudrait que cette profession soit plus connue et que les succès soient plus visibles. Dans mon activité, j’ai une grande part de confidentialité donc la visibilité de la performance est très compliquée à montrer et à démontrer». Il a notamment travaillé avec des professionnels issus d’une trentaine de clubs différents dont le PSG, le FC Porto, le LOSC, l’OGC Nice, l’AS Monaco, l’OL et le RC Lens.

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