Rafik Guitane : « je veux montrer à la Ligue 1 ce que je peux faire ! »
Grande promesse du football français mais victime de débuts plus que contrastés dans le monde professionnel, marqués notamment par deux graves blessures aux ligaments croisés, Rafik Guitane (22 ans) s'épanouit pleinement au CS Marítimo, où il est prêté pour la deuxième saison consécutive après un passage délicat au Stade Rennais. Officiellement transféré au Stade de Reims, cet été, et prêté dans la foulée par les Champenois sur l'île de Madère, le milieu offensif, élu à quatre reprises homme du match au cours des dernières semaines, semble aujourd'hui retrouver son plein potentiel. Doté d'une belle vision du jeu, armé d’un mental d’acier et fort d'une technique au-dessus de la moyenne, celui qui a fait ses débuts aux côtés de Dayot Upamecano ou encore Ousmane Dembélé s'apprête désormais à rejoindre la Ligue 1 avec l'ambition de démontrer, enfin, toute l'étendue de son talent. Entretien.
«Le trauma fracasse, c’est sa définition. Et la résilience qui permet de se remettre à vivre associe la souffrance avec le plaisir de triompher. Curieux couple !» Boris Cyrulnik.
Foot Mercato : bonjour Rafik, avant de parler de votre actualité, revenons sur votre parcours. Vous débutez à Évreux avant de rejoindre le Havre, pouvez-vous nous raconter vos débuts en Normandie ?
Rafik Guitane : mes premiers pas dans le football se sont effectués à Évreux, principalement à la Madeleine, j’étais entouré de Dayot Upamecano, Ousmane Dembélé, tous ces talents que l’on connaît aujourd’hui. De mon côté, j’ai commencé très tôt et j’ai gravi les échelons progressivement à Évreux et globalement tout s’est très bien passé là-bas. Avec tous ces joueurs, je prenais du plaisir, on prenait du plaisir au début et c’est là qu’on s’est mis à être encore un peu plus sérieux. Quand je dis plus sérieux, c’est de jouer encore et encore au football, à des moments où on devait se reposer ou se consacrer à l’école, nous on sortait pour aller jouer au foot...
FM : vous parlez d’Ousmane Dembélé, actuellement au Barça, mais plus globalement d’une génération, justement quelles sont vos relations avec elle ?
RG : aujourd’hui, je continue d’entretenir des relations avec ces joueurs que j’ai côtoyés à Évreux, on se parle quasiment tous les jours, les relations sont très bonnes. Si on regarde Ousmane Dembélé, déjà à nos débuts, on savait de quoi il était capable donc on est les plus heureux à le voir là où il est aujourd’hui et on espère tout le bonheur pour lui.
FM : pour revenir sur vos débuts, après Évreux, comment s’est faite votre arrivée au HAC ? Qu’est-ce que ça fait de signer son premier contrat professionnel dans un club qui a vu passer des joueurs comme Pogba, Mahrez… etc ?
RG : le passage d’Évreux au Havre.. Je suis arrivé au Havre à 12 ans et franchement c'était un peu difficile parce que du coup je me suis retrouvé éloigné de ma famille, mais vu que je suis arrivé très jeune, on arrive assez rapidement à se faire des amis et après forcément c’est beaucoup mieux, ça facilite les choses. Et puis j’ai eu ce soutien familial aussi, car je pars du coup à 1h45 d’Évreux, mais mon père me dit qu’il va être souvent là, que je vais souvent rentrer donc ça facilite aussi la réflexion et je décide d’y aller.
FM : j’ai lu d’ailleurs que le club n’était pas forcément disposé à vous offrir ce contrat au départ, pouvez-vous nous expliquer pourquoi ?
RG : oui c’est vrai, il me trouvait encore un peu trop jeune et ce que je peux comprendre totalement, la principale raison était là, pas assez forgé… En fait, j’avais joué qu’en U17 et en U19 et je n’avais pas fait d’année en CFA, mais pour eux il fallait faire ce passage en CFA avant de pouvoir prétendre signer un premier contrat professionnel.
FM : vous débutez malgré tout très jeune (17 ans) avec le groupe pro du Havre, tout le monde vous décrit comme quelqu’un de spécial. Premièrement comment gérer toutes ces attentes environnantes ?
RG : c’est forcement flatteur, toutes ces attentes, ça fait plaisir, mais après c’est là aussi où il faut savoir garder la tête sur les épaules, ne pas se prendre pour quelqu’un d’autre. Après ça s’explique aussi par le fait qu’à cette époque on me connaissait déjà via les classes jeunes de l’équipe de France que ce soit en U17, U18 ou U19. Mais oui évidemment que ça fait plaisir, après c’est une forme de pression et avec ces attentes, faut pas forcément vouloir faire tout bien à tout prix. Il y a une trajectoire, tout n’est pas possible d’entrée de jeu.
FM : malheureusement dans la continuité, on va devoir en parler, mais vous connaissez un coup dur avec cette première grosse blessure et une rupture des ligaments croisés du genou gauche ? Dans quel état d’esprit est-on à ce moment-là ? Et comment revient-on à son meilleur niveau ?
RG : ce n’était vraiment pas facile à vivre, d’autant plus que c’était ma première année professionnelle et jusqu’à ce moment-là je n’avais pas connu de blessure. A cet âge-là, tout allait bien sur le plan physique et même avant. Je n’avais jamais connu trop de blessures, donc mon premier ressenti est que j’allais m’en remettre assez rapidement, mais je ne savais pas que ça allait être aussi difficile. C’est une blessure qui est arrivée au cours d’un entraînement, j’étais avec les pros du Havre à ce moment-là et ils m’ont demandé de revenir aider les U19 pour un match de Gambardella et c’est sur un entraînement, la veille du match que je me fais ça... Après je dois dire aussi que dans ces moments difficiles, j’ai reçu l’aide de ma famille, de mes amis, du club et ça m’a aidé à bien revenir.
«Avec Marítimo ? Je joue, j’ai cette confiance du club et je peux enchaîner !»
FM : c’est d’ailleurs un coup dur qui ne vous freine pas forcément dans votre progression, parce que derrière vous terminez très bien la saison au Havre avec notamment deux buts et deux passes décisives et ensuite Rennes vous recrute pour près de 10M€...
RG : oui c’est vrai et très sincèrement cette première blessure aux ligaments croisés, je trouve que ça m’a aguerri physiquement, à la suite de ce coup dur, je suis devenu plus solide physiquement, sur les contacts je tenais plus et au final c’est bizarre à dire, mais je trouve que ce premier pépin physique m’a beaucoup aidé dans ma trajectoire de footballeur. On entend toujours autour de nous des personnes qui disent : « ouais c’est très compliqué de revenir d’une blessure aux ligaments croisés », il y a d’ailleurs plein de gros talents qui ne sont jamais vraiment revenus d’une telle blessure, donc oui j’appréhendais un peu, mais je savais aussi qu’en travaillant, il n’y avait pas de risque que mon football ne revienne pas.
FM : dans la foulée, vous vous engagez donc à Rennes pour ce qui est, au regard de votre très jeune âge un gros transfert, globalement que gardez-vous de cette expérience avec le club breton ?
RG : ce passage au Stade Rennais est là aussi fait de hauts et de bas avec encore une blessure aux ligaments croisés… c’était ma première année à Rennes et celle-là a été vraiment difficile pour moi. Après j’ai également été soutenu, j’ai rencontré des personnes merveilleuses qui m’ont beaucoup aidé dans ces nouveaux moments difficiles. Mais mentalement, c’était vraiment, mais vraiment compliqué parce que je savais déjà que les ligaments ça reste difficile pour s’en sortir et là de se les faire une deuxième fois, j’ai directement pensé à tout ce que j’allais devoir refaire pour encore revenir et sincèrement, ça m’a mis une claque.
FM : un début de carrière chaotique avec ceux deux graves blessures et derrière un prêt au Portugal. Pourquoi ce choix de partir de Rennes ?
RG : le Maritimo déjà m’a montré beaucoup d’intérêt, mais il y a aussi mon club à l’époque, Rennes, qui voulait que j’aille acquérir de l’expérience ailleurs et de ce fait les choses se sont faites très naturellement, les dirigeants au Portugal ont contacté Rennes, tout s’est très bien passé dans les négociations et moi j’ai directement accepté ce nouveau challenge.
FM : vous avez aujourd’hui 22 ans seulement, considéré comme un crack dès vos débuts et vous revenez de deux blessures graves qui ont logiquement retardé votre progression, comment gérez-vous ça ? Dans quel état d’esprit êtes-vous aujourd’hui ?
RG : la première chose, c’est que quand on revient de deux blessures comme j’ai subi, ça forge le mental. Avec ces deux blessures, j’ai beaucoup appris et maintenant je me sers aussi de ça et je pense que ça va me servir pour la suite de ma carrière.
FM : depuis quelque temps, vous retrouvez vos sensations avec Maritimo. Vous sortez d’une saison pleine avec eux et Reims, qui vient de vous recruter, vous a de nouveau prêté dans ce club, pouvez-vous nous parler de ce championnat portugais ? Comment vous vous sentez dans cet effectif ?
RG : au début quand je suis arrivé à Maritimo, ce n’était pas évident, c’était un peu difficile, déjà par rapport à la langue et puis même par rapport à cette culture, à une mentalité qu’on découvre, qu’on ne connait pas trop, il faut trouver ses propres repères. Donc la première année ici je vais dire que c’était plutôt une année d’adaptation, mais cette seconde année sur le plan personnel, elle se passe plutôt bien. Après pour revenir sur le championnat portugais, c’est un championnat avec beaucoup de qualités techniques, physiques, très physiques même et puis ça reste une ligue ouverte où tout le monde peut battre tout le monde. Sur le plan sportif après à titre personnel, au début ça ne s’est pas bien passé, mais le changement d’entraîneur (Vasco Seabra a été nommé le 13 novembre dernier pour remplacer Julio Velazquez, ndlr) a aussi changé les choses pour moi et pour le groupe. Maintenant je joue, j’ai cette confiance et je peux enchaîner et oui ça se passe très bien.
FM : justement à ce sujet, quelles sont les consignes de votre coach à votre égard ?
RG : j’ai cette liberté, le coach me demande de jouer comme je sais le faire. J’ai aussi eu ce repositionnement dans le couloir droit par rapport au nouveau dispositif mis en place par notre entraîneur (4-2-3-1, ndlr) et j’ai bien réussi à m’intégrer à ce nouveau système tactique.
FM : dans cette optique, 3 buts et 1 passe décisive depuis le début de la saison, Maritimo est 8e du championnat, comment jugez-vous vos performances individuelles et collectives ?
RG : déjà pour parler du plan collectif et de nos performances, je trouve qu’on a bien réagi par rapport à notre début de saison, car on a vraiment un groupe de qualité, mais au départ, on n'arrivait pas forcément à bien jouer ensemble, mais là depuis un certain temps on arrive à trouver cette alchimie et ça se traduit au niveau des résultats. Je pense que l’ambition du club de toute façon au départ c’était de ne pas descendre, en première partie de saison on était quand même dans les derniers (Maritimo était encore avant-dernier du championnat en novembre denier, ndlr), mais après oui il y a un grand écart entre nous et les 4/5 premiers donc l’objectif va être de finir au mieux et on fera les comptes à la fin. Après sur le plan individuel, au niveau des statistiques j’essaie de marquer ou de faire des passes décisives (rires), au maximum. Au départ, les statistiques n’étaient pas forcément quelque chose qui comptait pour moi, mais plus j’avance dans ma carrière et plus je prends cette dimension en compte, c’est devenu quelque chose d’important pour un joueur offensif.
«Avec Reims ? Je veux prouver aux gens autour de moi ce que je suis capable de faire !»
FM : comment expliquez-vous d’ailleurs ce renouveau affiché entre la première partie de saison et la dynamique récente ?
RG : depuis que le nouveau coach est arrivé, il y a une nouvelle dynamique, le groupe est plus conquérant à l’entraînement, plus conquérant en match, il y a ce nouvel élan.
FM : pouvez-vous nous expliquer le choix du Stade de Reims que vous allez définitivement rejoindre à l’issue de la saison ?
RG : c’est un club qui m’a fait confiance, il m’a montré son intérêt et je suis très content d’avoir signé chez eux, je ferai tout mon possible pour être à mon meilleur niveau et leur redonner cette confiance qu’ils m’ont accordée.
FM : qu’attendez-vous de ce nouveau challenge ?
RG : je sais que je n’ai jamais vraiment gouté à la Ligue 1 (il compte deux petites apparitions avec Rennes, ndlr) donc il y a aussi cette envie de fouler les pelouses de ce championnat, de faire tout mon possible pour aider le club et de prouver aux gens autour de moi ce que je suis capable de faire.
FM : la Ligue 1 justement va vous découvrir. En tant que joueur, comment vous décririez-vous sur un terrain ? Quel est votre profil ?
RG : au niveau de mon profil, je me considère comme un joueur capable de se projeter rapidement vers l’avant. J’ai une bonne qualité technique après même si j’ai déjà commencé à le faire, je pense que je dois encore progresser au niveau physique, cette capacité à résister quand je suis au duel, de tenir le choc dans le contact. Pour le reste, je sais aussi que j’ai une bonne vision du jeu.
«Le tirage de la Ligue Europa ? Que ce soit pour Lyon comme pour Monaco, c’est du 50/50 pour moi.»
FM : vous avez déjà un long parcours, mais vous êtes encore très jeune, quelles sont vos ambitions personnelles pour la suite de votre carrière ?
RG : très sincèrement j’essaie, au quotidien, de ne pas trop me fixer de limites, là dans un avenir proche je vais intégrer un nouveau club, avec un nouveau coach, de nouveaux dirigeants, d’autres ambitions et une philosophie de jeu. Je vais essayer de m’adapter au mieux à tout ça et surtout de montrer à tout le monde ce que je suis capable d’apporter, montrer ce que je sais faire, de quoi je suis capable. C’est mon premier objectif, de réunir tout ça, de mettre toutes les chances de mon côté pour montrer à la Ligue 1 ce que je peux faire.
FM : de vos débuts à Évreux à ce transfert à Reims en passant par ces deux blessures, quelle vision cela vous donne-t-il du football, de votre carrière ? Avez-vous un conseil à donner aux jeunes qui débutent vu ce parcours qui résume concrètement les hauts et les bas de la vie d’un footballeur ?
RG : mon conseil est de travailler au maximum, je le sais maintenant, même avec le talent, le talent sans le travail ça ne fonctionne pas et ça d’ailleurs je l’ai compris assez tardivement, mais heureusement que j’ai fini par le comprendre. Le déclic à ce niveau-là, je pense que c’était lors de ma deuxième blessure. Tu reprends tout sur l’hygiène de vie, sur ton implication à la salle, comment bien dormir, comment bien s’hydrater, c’est un ensemble. L’idée c’est ça, prendre soin de son corps, car pour moi, c’est mon outil de travail.
FM : le tirage au sort de la Ligue Europa a réservé deux clients de taille pour Monaco (Porto) et Lyon (Braga), deux formations que vous connaissez bien. Pouvez-vous nous en dire plus sur leurs forces et leurs faiblesses ?
RG : ouais j’ai vu ça, on m’en a parlé d’ailleurs quand j’étais à l’entraînement aujourd’hui (jeudi 3 mars, ndlr). D’abord pour Monaco, c’est Porto, on connaît tous Porto, ce qu’ils sont capables de faire, c’est un grand du Portugal voire un grand d’Europe, en tout cas pour moi c’est l’adversaire le plus fort de notre championnat avec un mélange entre des joueurs très talentueux et des joueurs très expérimentés, ça manie très bien le ballon, collectivement c’est en place et c’est très efficace. Et concernant Braga, pour moi c’est l’équipe la plus sous-cotée du championnat, peut être pas du championnat, mais en tout cas du top 4, top 5. Sous-coté dans le sens où je pense sincèrement qu’ils peuvent aller titiller des équipes comme Porto, Benfica ou le Sporting. C’est mon opinion, mais la principale faiblesse de Braga, c’est qu’il y a un manque de régularité dans ce club. Je m’explique, mais par exemple, ils peuvent battre Benfica et le match d’après perdre contre le dernier ou l’avant-dernier, mais franchement c’est une équipe qui ne refusera jamais le jeu, elle joue au football, elle joue au ballon, peut-être même plus que Porto et de manière générale ils ont de vrais bons joueurs, il y a de la qualité donc il faudra faire très attention à Braga. Que ce soit pour Lyon comme pour Monaco, c’est du 50/50 pour moi.
FM : pour conclure, qu’est ce qu’on peut vous souhaiter pour votre fin de saison et cette nouvelle aventure qui va débuter au Stade de Reims ?
RG : comme je le disais auparavant, cette fin de saison on va se concentrer sur nos résultats et j’espère qu’on pourra finir le plus haut possible au classement après pour la saison prochaine. Qu’est ce qu’on peut me souhaiter, qu’est ce qu’on peut espérer (hésitation) ? Pas de blessure ça serait très très bien déjà, pas de blessure... (rires)
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