Euro 2024 : pourquoi le football italien et albanais ont-ils noué des partenariats historiques ?
L’Italie ouvre sa compétition ce samedi face à l’Albanie, sur la pelouse du Signal Iduna Park du Borussia Dortmund. Tenante du titre, la Nazionale espère faire bonne figure dans cette Euro 2024 et tout commencera par ce duel face à un pays ami, l’Albanie, liée à l’Italie depuis des dizaines d’années.
L’Euro 2024 est officiellement lancé depuis vendredi. Tenante du titre, l’Italie fait son entrée dans la compétition ce samedi, sur la pelouse du Signal Iduna Park à Dortmund, contre l’Albanie. Une première journée dans le groupe B de la mort marquée par un derby amical méconnu dans le monde du football. En effet, l’Italie et l’Albanie partagent des liens très étroits depuis plusieurs décennies et une histoire commune qui s’est, peu à peu au fil des années, illustrée dans le football. Encore récemment, en mars dernier, la Fédération italienne de football (FIGC) de Gabriele Gravina et la Fédération albanaise de football (FSHF) d’Armand Duka ont officiellement signé un accord collectif, permettant aux joueurs albanais de ne plus être considérés comme étrangers au sein des championnats italiens. Car la diaspora albanaise est très présent en Italie, de par les vestiges de plusieurs pages de l’évolution conjointe des deux pays, débutée dès les XIVème et XVème siècles quand le Royaume de Venise occupait les villes côtières albanaises de Durrës, Scutari et Lezha.
«Une décision historique, une bonne nouvelle pour les footballeurs et le football albanais, qui intervient après des discussions en janvier avec le président de la FIGC, Gabriele Gravina. Le comité exécutif de la Fédération italienne de football a décidé de considérer les footballeurs albanais comme locaux pour la saison 2024-25. C’est une très bonne opportunité pour les footballeurs albanais d’avoir l’opportunité de concourir dans l’un des championnats les plus forts d’Europe», a écrit Armand Duka, président de Fédération albanaise de football (FSHF). En 2024, on dénombre près d’un demi-million d’Albanais qui ont émigré en Italie depuis 1991. Le nombre de sympathisants soutenant l’Albanie est donc important et les marques de la culture albanaise restent omniprésentes dans le pays de la Squadra Azzurra. Inversement, l’influence italienne en Albanie est aussi puissante, surtout à l’époque des Vénitiens notamment, sur certains noms de famille ou de clans. Les populations albanaises ont émigré vers la péninsule italienne principalement pour fuir les invasions ottomanes aux XVe et XVIe siècles. Les migrations depuis les Balkans ont existé dès le XIIIe siècle et se sont poursuivies jusqu’au début du XIXe siècle, liant à jamais les deux pays.
Une riche histoire partagée
Une grande vague d’immigration albanaise a eu lieu en Italie tout au long du XXe siècle. Le pays transalpin était alors perçu comme un pays de refuge mais aussi d’éducation avec notamment des cours de langue et de culture albanaises dans les universités de Consenza et de Palerme. Le Scanderberg ainsi que la mention du nom du pays sont représentés dans de nombreux lieux publics comme dans les noms de rues et des statues : «Sont considérées comme Arbëresh les habitants des villes ou villages de l’Italie méridionale où la langue et les traditions albanaises ont été perpétuées et conservées. Les villages arbëresh se concentrent principalement dans les régions de Calabre (particulièrement dans les provinces de Cosenza et de Catanzaro) et de Sicile (singulièrement dans la province de Palerme) et dans une moindre mesure dans celles des Abruzzes, du Basilicate, de Campanie, du Molise et des Pouilles», nous explique Kolë Gjeloshaj Hysaj, qui a écrit «Ndrangheta et autres mafias italiennes : des influences culturelles balkaniques ? » aux Éditions L’Harmattan. L’Italie est aussi le principal partenaire commercial de l’Albanie, représentant le premier fournisseur du pays et aussi le premier client de l’Albanie. Le premier journal en langue albanaise au monde L’Albanese d’Italia a été édité et publié à Naples dès 1848. Les Arberesh vont contribuer au mouvement de la renaissance albanaise, dans la deuxième partie du XIXe qui va conduire à l’indépendance de l’Albanie en 1912.
Le 7 avril 1939, l’Italie envahit l’Albanie. Le roi d’Italie, Victor Emmanuel III, est proclamé souverain de l’Albanie. Plus de 30 000 colons et travailleurs temporaires s’y installent. En 1941, l’Italie envahit le Kosovo et une partie de l’actuelle Macédoine du Nord. Lorsque l’Italie capitule en septembre 1943, les militaires et les civils italiens sont protégés par les Albanais contre les Allemands qui leur succèdent à la tête du pays : «Dans certains villages ou villes, la référence aux langues grecque et albanaise s’explique par le fait que les différentes vagues d’immigration leur ont donné naissance. Aujourd’hui encore, les groupes perpétuant la culture des Arbëresh sont très actifs au niveau local, malgré le fait que le nombre de locuteurs soit en diminution. L’Etat italien a défini une cinquantaine de communes du sud de l’Italie dans lesquelles, cette langue peut être promue officiellement, notamment dans l’enseignement. Le nombre de locuteurs varie de 80 000 à 100 000 personnes mais la population Arbëresh ne se limite pas à ces villages», a poursuivi Kolë Gjeloshaj Hysaj, politologue ayant travaillé à la Fédération internationale du sport universitaire. La religion est autre élément essentiel pour comprendre l’intégration de ces populations en Italie. La majorité des Arbëresh actuels ont préservé la langue albanaise et sont de rite gréco-catholique reconnu par Rome. C’est en effet par la toponymie et les patronymes que cette présence continue de marquer les territoires et la culture dans cette partie de l’Italie.
Un football étroitement lié
Pour l’Euro 2024 en Allemagne, le sélectionneur national, Sylvinho, a convoqué une liste de 26 joueurs parmi lesquels on retrouve un grand nombre d’acteurs du football italien. Près de dix joueurs évoluent actuellement dans un club de Serie A ou de Serie B dont notamment Kristjan Asllani, Ylber Ramadani, Medon Berisha, Nedim Bajrami, Marash Kumbulla, Ardian Ismajli, Berat Djimsiti, Elseid Hysaj, Elhan Kastrati et Etrit Berisha : «Les deux fédérations ont signé un accord fin mars, permettant aux joueurs albanais de ne pas être considérés comme des joueurs étrangers dans le championnat italien pour la saison 2024-25. Cet accord s’inscrit dans la continuité des relations étroites entre les deux fédérations. Signé à Tirana en avril 2012, un accord de coopération avait été signé entre les deux fédérations. Présenté comme un accord permettant une coopération étroite sur le plan technique, il offre la possibilité de jouer des matchs amicaux pour toutes les catégories d’âge», nous confie Kolë Gjeloshaj Hysaj. A noter que Thomas Strakosha, Arlind Ajeti et Naser Aliji ne portent plus le maillot d’un club italien mais ont passé plusieurs saisons dans une équipe italienne ces dernières années. Et dans l’autre sens, des figures albanaises ont marqué le Calcio - Giovanni Paramithiotti, issu de la communauté albanaise d’Italie, a été l’un des fondateurs et le premier président de l’Inter en 1908.
Si les Shqiponjat sont aujourd’hui entraînés par le Brésilien Sylvinho, la sélection a longtemps été dirigée par Gianni De Biasi pendant six années. Acteur principal du développement du football albanais, Gianni Di Biaisi est une personne très respectée en Albanie, au point d’avoir été naturalisé : «De 2011 à 2017, le sélectionneur de l’équipe nationale albanaise était l’Italien, Gianni Di Biasi. Il a été élevé au rang de Chevalier de l’Ordre de l’Étoile d’Italie en 2017, pour sa contribution au renforcement de l’amitié italo-albanaise. Il a permis à l’Albanie de se qualifier pour son premier tournoi majeur, l’Euro de football de l’UEFA en 2016 en France. L’Albanie lui a même accordé la nationalité», rappelle Kolë Gjeloshaj Hysaj. Historiquement, l’Italie est la nation la plus représentée dans l’histoire des sélectionneurs de l’Albanie avec trois autres entraîneurs italiens en plus de Di Biasi : Giuseppe Dossena, Christian Panucci et Edoardo Reja. Encore aujourd’hui dans le staff, certains membres sont italiens notamment le médecin Gianluca Stesina, le directeur technique Fulvio Pea ou encore l’analyste vidéo Alarico Marco Rossi. Et cette présence italienne dans le football albanais se ressent aussi dans les équipes jeunes du pays avec les frères Shpendi, Stiven qui joue à Empoli et Cristian qui évolue à Cesena, mais aussi Brayan Boci du Genoa, Endri Muhameti de l’Atalanta, Eljon Toçi de la Fiorentina et Rrok Toma d’AlbinoLeffe.
Une proximité à consolider
Mais quid des relations aujourd’hui entre Rome et Tirana ? En novembre 2023, le Premier ministre albanais, Edi Rama, et la Première ministre italienne, Giorgia Meloni, ont signé un accord soulignant que les migrants secourus dans les eaux territoriales italiennes ou par les autorités italiennes seront envoyés en Albanie pour que leurs demandes d’asile y soient traitées. Un approchement diplomatique consolide les deux pays historiquement liés : «En effet, les premiers ministres des deux pays ont établi une relation étroite. La première ministre italienne a été invitée par Rama à passer quelques jours de vacances en août 2023 au pays des aigles. Ce qui marque le plus cette relation, c’est l’accord migratoire signé pour l’accueil des migrants. Le 6 novembre 2023 à Rome, l’accord pour la construction d’un centre d’hébergement de migrants en Albanie a été signé pour une durée de 5 ans. Deux camps seront construits pour accueillir les migrants arrivant en Italie», analyse Kolë Gjeloshaj Hysaj. Ces centres seront implantés dans le port de Shengjin et sur le site de l’ancien aéroport de Gjader, au nord du pays. Près de 3 000 personnes pourront y être prises en charge à la fois. L’accord ne concerne pas les mineurs, les femmes enceintes et les personnes vulnérables.
L’Italie financera les infrastructures et une série de coûts logistiques inhérents au fonctionnement des sites et à la gestion administrative. Les centres seront sous juridiction italienne. Giorgia Meloni s’est rendue en Albanie le 6 juin 2024 pour faire le point sur l’avancement du projet avec son homologue albanais : «Pendant la crise sanitaire du Covid, un fait notable est que l’Albanie a envoyé des médecins et des infirmières en Italie pour les aider à faire face à la crise alors que l’Italie payait un tribut particulièrement lourd. Fin mars 2020, 10 médecins et 20 infirmières ont été envoyés en Italie, puis 60 autres infirmières en avril 2020. Un autre exemple contemporain est celui de Sindi Manushi, qui est devenue en 2023 la première maire d’origine albanaise issu de la nouvelle immigration. Cette avocate de 30 ans préside alors aux destinées de Pieve di Cadore, dans la province de Belluno dans la Région de Venise», conclut Kolë Gjeloshaj Hysaj. En effet à la fin mars 2020, 10 médecins et 20 infirmières ont été envoyés en Italie, puis 60 autres infirmières ont emboîté le pas en avril 2020. Vous l’aurez compris, cette première journée du groupe B revêt une dimension particulière.