Mathieu Bodmer : « ma priorité est de jouer au foot, je n’ai pas envie d’arrêter »
Passé par le LOSC, l'OL, le PSG, Saint-Étienne ou encore l'OGC Nice, Mathieu Bodmer arpente désormais les pelouses de Ligue 1 sous les couleurs d'Amiens depuis l'été 2017. Âgé de 37 ans, le natif d'Évreux arrive en fin de contrat avec le club picard mais n'a pas pour autant l'intention de raccrocher les crampons. Pour Foot Mercato, l'homme aux plus de 400 matches de L1 a fait le point sur son avenir, tout en évoquant la difficile saison d'Amiens ou encore sa relation avec son entraîneur, Luka Elsner.
Foot Mercato : comment vous sentez-vous, physiquement et mentalement ? On parle de dépression chez certains footballeurs en cette période de confinement lié au coronavirus...
Mathieu Bodmer : j'en ai entendu parler. Franchement, ça me choque un peu. On a des salaires qui sont plutôt convenables. Alors certes on ne fait pas notre métier, mais on est en bonne forme pour la plupart. On habite dans des maisons qui sont souvent mieux que celles des autres. Je ne sais pas si c'est une chance, mais tous les jours, j'échange avec des personnes œuvrant pour des associations, qui me racontent la réalité du terrain, la vraie misère sociale. Les gens qui ont perdu leur emploi, les femmes qui se retrouvent seules avec 3 enfants et qui ont perdu leur mari, ceux qui n'ont rien pour occuper leurs enfants dans un tout petit espace tous les jours... Eux, je peux comprendre leur dépression. Moi, je ne peux pas me sentir mal. J'ai la chance d'avoir ma femme et mes enfants autour de moi, j'ai un petit jardin, d'ailleurs il n'a jamais fait aussi beau à Amiens (rires). J'ai internet, la PlayStation pour les enfants, la tablette, etc. Je ne vais pas dire que je vis à 100% correctement, mais je ne suis pas à plaindre. On se concentre sur les choses essentielles de la vie. Il y a des choses beaucoup plus graves aujourd'hui que nos histoires de salaire par exemple. Il y a des gens qui meurent. Nous, on va finir par rejouer au football.
FM : avez-vous senti autour de vous des joueurs déboussolés, parmi vos coéquipiers ou vos amis dans le monde du football ?
MB : non, pas dans mes relations. Alors après, il y en a qui le vivent plus ou moins bien, pour qui le temps commence à être long parce qu'ils ont envie de jouer, de sortir et de faire autre chose. Tout le monde comprend la situation. Nous on s'entretient, on a la chance d'aller courir, on peut faire un peu de musculation, etc. Ce n'est pas le top du top, mais on fait ce qu'on a à faire. Dans certains groupes de joueurs auxquels j'appartiens, il y a un ou deux joueurs qui ont dit qu'ils n'avaient pas trop la tête à jouer. Encore une fois : ce n'est que du foot. Que ce soit la semaine prochaine ou dans deux mois, on va retaper dans le ballon.
FM : comment vous entretenez-vous physiquement ?
MB : tous les jours, on reçoit un programme du club, qui concerne la course et le renforcement musculaire en général. J'essaye de faire au minimum une séance par jour, deux dans le meilleur des cas : une le midi, une en fin de journée. Et j'essaye de faire au moins 2h par jour, découpées en deux fois une heure.
FM : si la saison reprenait, certains ont évoqué la possibilité voire la nécessité d'effectuer une pré-saison. Quel est votre regard à ce sujet ?
MB : ça sera mieux, c'est une certitude, même si on manque de temps. Après, je vais prendre l'exemple d'Amiens. Si demain, j'ai le choix entre arrêter la saison et le club descend ou vous ne faites pas de préparation et vous avez une chance de vous sauver, je prends la deuxième option sans hésiter. Avec tous les risques que ça encourt. Mais je préfère me battre sur le terrain et me blesser que ne pas jouer du tout.
FM : reprendre la saison est ce qui vous semble le plus cohérent ?
MB : oui, parce que sinon, on va descendre sans jouer, et ça me dérange. Il faut qu'on nous laisse une chance.
FM : que pensez-vous de la possibilité de ne pas enregistrer de descente en Ligue 2, ce qui vous maintiendrait automatiquement, et de promouvoir les deux premiers du classement de L2 ? On se retrouverait alors avec une Ligue 1 à 22 équipes...
MB : dans tous les cas, je préfère jouer. Maintenant, il faut faire au mieux. Après, si un tel scénario arrivait et que ça peut contenter un maximum de monde, oui je prends.
FM : la ministre des Sports, Roxanna Maracineanu, a estimé que la saison ne devrait pas reprendre avant mi-juin et qu'aucun passe-droit ne sera donné avant le 11 mai pour les entraînements. Est-ce une sage décision ?
MB : on n'a pas le choix, on ne peut pas reprendre avant. Je ne veux pas qu'on tire encore sur le foot et les footballeurs parce qu'on est les seuls à sortir par exemple. Il faut respecter tout le monde et reprendre dans de bonnes conditions. J'espère que les décideurs trouveront la meilleure solution pour respecter l'équité sportive et respecter le reste de la population française.
FM : l'une des certitudes est que les prochains matches se dérouleront à huis clos. Quel est ton regard là-dessus ?
MB : ce n'est pas du foot (rires). C'est naze. Il n'y a pas d'ambiance... c'est spécial. Je préfère jouer à huis clos et me sauver que de ne pas jouer du tout. Après, vu les risques encourus, ça se comprend. Avoir des stades pleins, ce n'est pas sur que les gens le comprennent ni que ce soit une bonne chose. Si on doit jouer à huis clos, on le fera. Si ça peut divertir certaines personnes chez eux, tant mieux pour elles aussi.
FM : quand on est joueur, jouer à huis clos, qu'est-ce que ça change ?
MB : ça ne joue pas sur la motivation, parce qu'on est là pour gagner des matches. Mais évoluer à domicile, devant son public, qui peut te pousser sur certaines actions, ça aide. Le soutien du public à domicile, ça change. Surtout pour nous, dans notre situation (Amiens est 19e de Ligue 1, NDLR), le bruit, les chants, ça peut être un plus. Après, je le répète, le football n'est pas prioritaire.
« Il manque ce petit supplément d'âme qu'il y avait dans le passé»
FM : comment viviez-vous l'exercice 2019-2020 avant qu'il ne soit suspendu à cause du coronavirus ?
MB : moyennement, parce que j'étais blessé régulièrement, et ça me fait chier. Collectivement, idem. Je pense qu'on a une équipe qui devrait être mieux classée mais qui, à un moment donné, a raté des matches, la prise de points, et on se retrouve dans cette situation compliquée.
FM : quelle est la raison de cette situation ?
MB : l'une des raisons principales, je pense, est qu'aujourd'hui, on a une équipe plus compétitive et mieux armée techniquement et sportivement que les autres saisons, mais qu'on a perdu quelques valeurs au passage. On a perdu ce qui faisait les matches d'Amiens quand ils sont montés en Ligue 1 (en 2017-2018, NDLR). Il y avait plus de soldats avec moins de qualités footballistiques mais avec un état d'esprit et une niaque qu'on n'a peut-être plus aujourd'hui, ou moins en tout cas. La combativité nous fait défaut. Tout le monde se bat, mais il manque ce petit supplément d'âme qu'il y avait dans le passé.
FM : pensez-vous que la situation actuelle vous aidera à revenir sur le terrain avec un autre état d'esprit ?
MB : j'espère (rires), on espère tous, maintenant, je n'ai pas de certitude là-dessus. Chacun vit son confinement de son côté, on se voit un peu par visio (appel vidéo), on en parle un peu. On verra comment chacun va revenir, dans quelle condition physique et mentale on revient. Mais si on veut s'en sortir, ce sont des vertus qu'il va falloir retrouver.
FM : le manque d'expérience de Luka Elsner (37 ans), votre entraîneur à Amiens, a souvent été pointé du doigt cette saison. Qu'en pensez-vous ?
MB : il manque d'expérience, c'est une certitude. C'est évident, il commence. Après, il ne faut pas se cacher derrière ça. Il est compétent. Il n'a peut-être pas toujours fait les bons choix, mais c'est quelqu'un de très travailleur qui a envie de faire les choses correctement. Il va apprendre, comme tout le monde. C'est sa première expérience en Ligue 1. Il découvre un nouveau pays, une nouvelle équipe, des nouveaux joueurs, c'est normal. Il faut du temps pour que se mettre en place. Je n'ai en tout cas aucun doute sur ses compétences.
FM : comment est votre relation avec Luka Elsner ?
MB : sincèrement, elle est très bonne, mais ce n'est pas pour autant que je joue énormément (rires).
FM : vous avez disputé 80 minutes réparties en 9 matches de Ligue 1 cette saison, plus un match de Coupe de la Ligue. Avez-vous parlé de votre temps de jeu avec votre coach ?
MB : oui, on en a déjà discuté. Des fois, j'aimerais jouer un peu plus. Je suis compétiteur, j'ai envie de jouer et d'être performant. Il y a eu des moments où j'estimais avoir plus ma chance. Il a fait des choix, il me les a expliqués, pas de souci. Je suis quelqu'un qui respecte beaucoup les choix de coach. Je sais que c'est un métier difficile, avec 25 mecs en face, il faut faire des choix tout en ayant des comptes à rendre. Après, pour diverses raisons, j'aurais pu jouer mais je me suis blessé, je ne suis pas revenu... Mais mon jugement (sur Luka Elsner) est plus crédible du fait que je ne joue pas. Les gens ne peuvent pas dire que c'est parce qu'on s'aime bien. On s'aime bien, ok, mais je ne joue pas (rires). Donc j'essaye d'être le plus juste possible par rapport à la situation et sur ce qu'il peut nous apporter.
«Je suis un homme de défis»
FM : vous avez 37 ans et donc aussi ce rôle d'ancien, de joueur d'expérience, pour encadrer le groupe. C'est un rôle qui vous plaît ?
MB : j'adore ça. Je le vis très bien. J'en ai discuté un peu avec le coach. Mon rôle, depuis que je suis arrivé à Amiens, c'est d'aider le club à se structurer, à grandir, et pas que sur le terrain. J'ai un peu d'expérience par rapport à ça. J'essaye, par des petits détails, de changer le quotidien de tout le monde et de faire avancer le club.
FM : qu'est-ce qui vous motive encore à jouer au foot ?
MB : le plaisir et la passion. Tant que j'aurai ça et que je trouverai quelqu'un qui m'offrira un contrat et la possibilité de jouer, je n'arrêterai pas.
FM : vous arrivez en fin de contrat avec Amiens, le 30 juin prochain. Avez-vous parlé avec vos dirigeants d'une prolongation à court terme si la saison se terminait plus tard ?
MB : non, pas du tout, on attend de savoir quelles décisions seront prises. Ce n'est pas un souci pour moi. Si je dois être prolongé, je le serai, si le club ne me prolonge pas, il n'y a pas mort d'homme.
FM : au cours de la saison, avez-vous discuté avec Amiens d'une prolongation de contrat au-delà de cette saison ? Ou vous êtes-vous dit que ce serait la fin de l'aventure ?
MB : j'en ai discuté un peu avec John Williams, qui gère les contrats ici (responsable du recrutement depuis 2015, NDLR), avant le confinement. On devait se voir en fin de championnat, en espérant que le maintien soit acquis, pour voir quel pouvait être mon rôle l'année prochaine. Joueur ou autre, il fallait qu'on en discute. Rien n'a changé, je n'en ai pas reparlé avec lui. Je ne suis pas pressé par rapport à ça. Il y a pas mal de choses qui vont se passer d'ici là.
FM : qu'avez-vous envie de faire ?
MB : j'ai des idées. En tant que joueur et dans d'autres emplois dans le foot, autres que sur le terrain. Ma priorité est de jouer au foot. Je sais que j'ai d'autres opportunités derrière qui vont s'ouvrir à moi. J'ai déjà parlé avec certaines personnes si demain ma carrière devait se terminer, j'ai anticipé ça aussi. Ma priorité est de finir cette saison si possible, et si je peux rejouer celle d'après, je rejouerai.
FM : qu'a changé le coronavirus dans vos projets pour la fin de saison ?
MB : le timing. Si on termine la saison en août, ça me fera jouer plus longtemps à Amiens, ça sera déjà ça de pris. J'aime bien ce club et l'ambiance qui y règne. J'ai plaisir à aller voir tous mes coéquipiers chaque matin. On verra comment vont s'organiser les choses. J'espère qu'on en saura un peu plus dans les semaines à venir. Je ne suis pas quelqu'un de très stressé.
FM : que choisiriez-vous entre la France et l'étranger pour poursuivre votre carrière ?
MB : ça dépend du projet. Je n'ai jamais joué à l'étranger. Il y a un ou deux projets qui pourraient m'intéresser à l'étranger. J'ai ma famille ici. Je vais y réfléchir plus en famille que de façon égoïste, comme je l'ai régulièrement fait dans mes choix de club au cours de ma carrière.
FM : vous imaginiez-vous jouer à un âge si avancé au début de votre carrière ?
MB : non, je pensais que j'arrêterais plus tôt. Je me rends compte que c'est compliqué et que je n'ai pas envie d'arrêter (rires). Je n'ai pas envie d'arrêter. À la base, ce sport, je l'ai fait par passion et par plaisir depuis tout petit. Puis un jour, on m'a dit que je pourrais en faire mon métier. Un autre jour, on m'a payé, et plutôt bien, pour faire ça. Maintenant, on me paye toujours pour faire ça, avec certes des exigences au haut niveau. Je serais le roi des cons de ne pas continuer ! Je n'ai pas de raison d'arrêter. Tant qu'on me donnera un contrat, je le prendrai, parce que chaque matin, je me lève avec plaisir, pour aller m'entraîner, peu importe le temps. Je suis payé pour jouer au foot, ce que, à la base, j'avais envie de faire gratuitement, par plaisir. Il faudrait être fou pour ne pas accepter (rires) !
FM : que peut-on vous souhaiter pour la fin de votre carrière ?
MB : de jouer le plus longtemps possible. Après, on verra quel sera mon projet. Pour l'instant, ce n'est pas d'actualité. J'aime relever des challenges, j'aime créer des choses. Je suis un homme de défis.
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