Mathieu Bodmer : «ça prouve que le footballeur n’est pas aussi égoïste qu’on le dit»
A l'image de nombreux sportifs récemment, Mathieu Bodmer s'est mobilisé dans la lutte contre le coronavirus. Pour venir en aide au personnel soignant et aux personnes dans le besoin de sa ville natale, Evreux, le milieu de terrain d'Amiens et l'AJM (l'Association des Jeunes de la Madeleine) ont lancé une collecte de fonds appelée "Unis pour Evreux". De nombreux footballeurs ainsi que d'autres personnalités du monde du sport se sont joints à ce projet, dont Mathieu Bodmer est plus que satisfait, comme il l'a confié à Foot Mercato, tout en évoquant la crise que traverse le football.
Foot Mercato : expliquez-nous le fonctionnement d'Unis pour Évreux, la collecte de fonds que vous avez mis en place pour votre ville natale ?
Mathieu Bodmer : il y a différentes cagnottes. La première est simplement composée de tous les sportifs qui sont derrière moi. On est 37 aujourd'hui. Chacun effectue un don, à la hauteur de ses moyens et de ses envies. La plupart ont été plus que généreux. On a quasiment récolté 40 000 euros à ce jour. On a déjà envoyé à différentes associations grâce aux sportifs qui ont envoyé de l'argent rapidement. On a déjà des retours, sur la façon dont on aide. On est plus que satisfaits. On a ensuite mis en place une cagnotte Leetchi, depuis le 14 avril, qui marche plutôt bien, on a dépassé les 20 000 euros. Tout le monde peut faire un don de la somme qu'il souhaite, en sachant que 10 euros correspondent à un ticket de tombola pour remporter les lots mis en jeu. La cagnotte dure jusqu'au 26 avril. Deux ou trois jours après, il y aura un tirage au sort, et on est en train de voir avec le maire d'Évreux pour qu'il l'effectue. Il est médecin urgentiste aussi, donc on attend ses disponibilités.
FM : combien de lots sont à remporter en participant à cette cagnotte ?
MB : il y a une centaine de lots à gagner. Il y a des maillots de Lionel Messi, Neymar, Franck Ribéry, Eden Hazard, Ousmane Dembélé ou encore Tony Parker (ancien basketteur français). Il y a aussi des accessoires, comme les chaussures d'Evan Fournier (joueur NBA à Orlando) ou les gants de Tony Yoka (boxeur champion olympique en 2016). J'ai déjà reçu des maillots de certains pays. Pour les autres, ce sera après le confinement. Mais des lots arrivent tous les jours.
FM : comment avez-vous fait pour récupérer tous ces maillots, comme celui de Lionel Messi ? Avez-vous rencontré des difficultés ?
MB : non, ça a été facile. Déjà, on est 37, et chacun a donné quelque chose. Certains ont donné deux ou trois choses. Chacun s'est pris au jeu et a demandé à ses amis. Ils ont répondu présents. Il y a des gens qui se rajoutent à notre projet en le voyant, d'autres qui ont envie de nous aider et nous envoient des maillots ou autres accessoires. Pour Messi, j'ai la chance d'être très ami avec Eric Abidal (directeur sportif du Barça, NDLR), qui m'a très gracieusement offert ce maillot.
FM : vous attendiez-vous à ce qu'autant de personnalités participent à votre projet ?
MB : non, pas spécialement. C'est comme les joueurs qui ont fait des dons sur la cagnotte. Je les ai vus, parce que je vois les dons arriver. Ça me fait chaud au cœur. Je les ai remerciés. Parce qu'ils ne sont pas de ma ville. Déjà, c'est une belle chose que nous, les sportifs, nous regroupions. Mais quand c'est sa ville, c'est un peu plus facile, car on connaît toujours quelqu'un qui travaille à l'hôpital ou qui est dans le besoin. Quand c'est une personne "étrangère" à la ville, qui fait un don ou qui envoie un maillot rapidement parce qu'il trouve le projet intéressant et que ça peut aider des gens, il faut le mettre en avant. Ça prouve que le sportif, le footballeur en particulier, n'est pas si égoïste qu'on le dit.
FM : c'est donc aussi une bonne chose pour l'image des footballeurs, alors que vous êtes souvent décriés par rapport à vos salaires jugés démesurés...
MB : mon image, ce n'est pas très grave, parce que je sais ce que je fais et ce que je ne fais pas (rires). Je ne cherche pas à récolter des lauriers. Mais c'est important d'en parler. Je trouve que notre profession est assez décriée en général. Mais quand on est dedans, on sait ce que les gens font. Dans notre ville (dont de nombreux footballeurs sont issus, comme Steve Mandanda et Ousmane Dembélé, NDLR), on sait qui est généreux voire très très généreux, pour différentes associations, des quartiers ou la ville. Les sorties organisées pour les enfants, les maillots et les chaussures envoyés... Ce n'est pas qu'à Évreux. Partout où je suis passé, quasiment tous les joueurs soutiennent une association. Moi, je sais que tout le monde donne.
FM : est-ce un problème de médiatisation ?
MB : en général, on ne veut pas que ce soit médiatisé. Moi, j'ai voulu que ça le soit parce qu'il est important de parler de cette maladie, mais surtout de l'aspect économique qui va arriver derrière, avec les pertes d'emploi, les gens qui ne peuvent pas manger... Dans ma ville, la situation est critique, mais c'est partout pareil. Et ça ne va pas forcément s'améliorer. On aurait pu faire comme d'habitude, en envoyant de l'argent à différentes associations, sans que ça sorte d'Évreux. Par rapport à ce qui arrive aujourd'hui, on a besoin d'en parler. Il faut que tout le monde prenne conscience que le personnel médical est en difficulté et qu'il faut les aider.
FM : pensez-vous que les sportifs ne devraient pas être les seuls à se mobiliser ?
MB : je vais vous raconter quelque chose. Il y a une société qui s'appelle Biocoop, qui a un magasin (à Évreux). Le patron a pris contact avec moi et voulait donner une cagette de fruits et légumes par semaine à des gens. J'ai donc mis en relation la société avec une association qu'on avait aidée. Et ce qui a été mis en place va perdurer, même après le confinement. C'est un bien pour l'asso et pour tout le monde. J'espère que d'autres entreprises vont suivre, d'autres clubs de sport aussi. Mais c'est un premier pas.
FM : souhaitez-vous qu'il y ait une réelle prise de conscience sur la situation et l'avenir ?
MB : c'est important. Je pense que le monde ne sera plus pareil avec ce qui est en train de se passer. Et ce n'est pas fini. On ne sera plus pareils au niveau des contacts, des relations. Le monde est à l'arrêt. On vit différemment. On revient à des choses plus essentielles. On passe plus de temps avec ses proches et on se rapproche des gens qu'on ne voit plus, en faisant des appels vidéo, etc.
FM : c'est justement l'ampleur de cette crise liée au coronavirus qui vous a poussé à lancer «Unis pour Évreux» ?
MB : oui, ça a joué. Après, on fait beaucoup de choses pour la vie associative d'Évreux en temps normal, que ce soit chacun de son côté ou ensemble. Là, l'urgence a fait qu'on a dû agir rapidement avec un certain impact médiatique.
«Le football devrait se réunir»
FM : quel est votre regard sur les mobilisations dans le monde du football par rapport au coronavirus ?
MB : je pense qu'elles sont, pour la plupart, désorganisées mais aussi insuffisantes. J'ai vu quelques clubs faire des gestes, j'ai vu des joueurs qui ont fait des gros dons. Mais dans des situations comme ça, le football devrait se réunir et organiser quelque chose en commun, comme nous on a fait, à la hauteur de ses moyens. Il y a quelque chose à faire sur ce terrain-là. L'UNFP commence à aller dans ce sens, l'OGC Nice l'a fait aussi, mais c'est encore un peu chacun dans son coin. Alors que le foot génère beaucoup de revenus, et quand je vois ce qui peut se faire aux États-Unis par exemple au niveau du social, on est en retard.
FM : qu'est-ce qui pourrait amener le foot à s'en rapprocher ?
MB : une organisation, déjà, comme partout. Faire une fondation par exemple. Peut-être en demandant, aux joueurs qui sont d'accord, de donner une partie de leur salaire. Après, j'ai fait Évreux parce que c'est plus facile pour moi, je connais tout le monde. Quand je prends un euro à droite, je sais comment l'utiliser à gauche. Au niveau national, c'est un peu différent. Mais on en est capable. Je pense qu'on va tous sortir grandis de cette épidémie, ça va rapprocher les gens. On est obligé de vivre différemment.
FM : selon vous, que va changer cette crise liée au coronavirus dans le foot ?
MB : j'espère que ça va changer les mentalités. Le foot est devenu qu'un univers business quasiment...
FM : cet aspect du foot vous déplaît-il ?
MB : non, ça en fait partie, mais il y a d'autres choses aussi. On gagne beaucoup d'argent, on en verse aussi, alors que la plupart des joueurs payent beaucoup d’impôts. Les joueurs dépensent aussi de l'argent et font tourner l'économie, il ne faut pas l'oublier. Mais avec l'argent qu'on a, on peut faire autre chose. On peut aider plus en se regroupant plus, pour toucher plus de monde et avoir un impact plus fort. Je suis fan de sport US. Les Américains sont très associatifs. Quand je vois ce que fait LeBron James (star des Los Angeles Lakers, NDLR)... Après, il a des gros moyens, mais il n'est pas obligé de le faire. Mais en construisant une école, il éveille les consciences. C'est important.
FM : quel est votre regard sur la baisse de salaire des joueurs de foot ?
MB : c'est normal, ça ne me dérange pas de baisser mon salaire. On est au chômage partiel, donc comme tous les Français, on a dû baisser notre salaire, c'est logique. Mais si Amiens me le demandait, j'accepterais sans souci. C'est un club que je respecte beaucoup. On est payé en temps et en heure, il n'y a jamais de problème. Le président (Bernard Joannin, NDLR) est quelqu'un de très carré et très droit. Donc si demain il nous demande de faire un effort à ce sujet pour le soulager, c'est parce qu'il n'aura pas le choix. Je pense que la plupart des joueurs du groupe réfléchissent comme ça. On n'a pas à se plaindre ici, on est plus que bien traités. On est en discussions, on attend que le club revienne vers nous pour la suite.
FM : c'est une évidence pour vous, mais pas pour tout le monde...
MB : on ne voit que la partie émergée de l'iceberg, à savoir l'équipe première. Mais derrière, il y a des comptables, il y a le staff, les coachs adjoints, des gens qui travaillent à la formation... Ils n'ont pas la chance d'avoir le même salaire que nous, les joueurs. Demain, si on me baisse mon salaire de 50%, je gagnerai plus qu'eux. Ils ont leurs problèmes, et si on leur enlève ne serait-ce que 30%, à la fin du mois, ce n'est pas la même. Je ne comprends pas les joueurs qui négocient leur réduction de salaire. Si le club m'enlève tout mon salaire, là on aura une discussion (rires). En sachant que ce qui a été convenu c'est qu'une fois que les droits TV auront été versés, on récupérera notre argent. C'est juste un décalage de trésorerie pour simplifier la vie à tout le monde.
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