Alors que la FFF n'arrive toujours pas à se décider en faveur de l'arrêt définitif des compétitions amateurs, les clubs eux doivent faire face à de sérieuses difficultés. Avec la crise, c'est tout le tissu économique qui ne répond plus et l'avenir devient incertain. Des présidents d'équipes amateurs de niveau national font le point. Ils tirent tous la sonnette d'alarme.
«À ce stade de la crise sanitaire, il est encore difficile de se projeter dans la période post-pandémique. Mais la possibilité de reprise de nos championnats existe toujours. Il serait donc prématuré de prononcer aujourd’hui l’arrêt de la saison.» Ce vendredi soir, le comité exécutif de la Fédération Française de Football n'avait toujours pas statué définitivement cette fin de saison. Pour ce qui est du football professionnel, l'enjeu se situe autour des droits TV puisque la LFP n'a toujours pas récupéré et donc redistribué les derniers versements des diffuseurs. Le manque à gagner est d'environ 150 M€ pour les clubs. Une histoire d'argent donc.
Pour sa défense, la 3F se dit dans l'attente des décisions à venir du gouvernement. «Je sais que beaucoup de présidents de Ligue me conseillent d'arrêter les compétitions. Ma position est d'attendre le 15 avril. Nous verrons alors l'évolution du virus et les positions sur le confinement. J'espère de bonnes nouvelles comme tout le monde. Mais, si l'état sanitaire du pays ne s'améliore pas à cette date, je ne vois pas comment on pourrait reprendre pour aller au bout d'ici à la fin juin» expliquait un Noël Le Graët de plus en plus pressé par le monde professionnel. Les amateurs aussi sont dans l'attente mais ont d'autres arguments à exposer.
Les clubs appellent à l'aide
En première ligne dans ce combat de chaque instant, les clubs amateurs de l’échelon national demandent des mesures et vite. Déjà touchés par les difficultés du quotidien, ils sont maintenant frappés de plein fouet par le confinement et le net ralentissement de l'activité économique. Il y a urgence à agir, à commencer par le calendrier. Alors que les fédérations d'autres sports ont depuis longtemps déjà suspendu de manière définitive les compétitions amateurs (le 24 mars pour le handball, 26 pour le volley, le 27 pour le rugby et le 29 pour le basket-ball), à l'instar d'autres pays également, la FFF veut elle se donner du temps. Pourtant, l'enjeu n'est même plus de savoir quand la saison reprendra, cette hypothèse s'éloignant à mesure que la crise se prolonge, mais plutôt de comment assurer l'avenir ?
«On n’a aucune réponse. Ils ont fait une réunion en comex aujourd’hui (vendredi) et ils n’ont rien statué. Tout reste en l’état. On ne peut pas dire si on va reprendre ou non le championnat, alors même qu’il y a des gens qui meurent, qui souffrent dans leur vie. Il en va dans un premier temps de la santé de toutes et de tous», s'alarme Patrick Gonzalez. Le président de l'AS Saint-Priest (National 2) est d'ailleurs monté au créneau ces derniers jours, adressant une lettre ouverte à Noël Le Graët et co-signée par Eric Thomas, président de l’Association française de football amateur (AFFA). Avec déjà plus de 1000 soutiens, il en appelle à la responsabilité de chacun et demande des mesures d'urgence pour sauver un foot amateur complètement étranglé.
Les aides de la FFF insuffisantes
«Si on ne fait pas ça, plein de clubs amateurs mourront. Aujourd’hui, il y a plein de sponsors, partenaires, qui me disent qu’ils ne pourront plus assurer parce qu’ils veulent conserver leurs emplois et leurs entreprises. "Ce que j’avais prévu de te donner au mois de juin il va falloir le retirer du bilan". L’année prochaine, le prévisionnel, on fait comment ? Je ne sais pas qui va pouvoir me donner, sur quoi je vais pouvoir partir », s’inquiète le dirigeant. Et de conclure : « C’est très compliqué pour tout le monde et ce qui est dommageable, ce qu’on n’a pas l’air de nous écouter. » Pour assurer la survie des 15 000 clubs amateurs, Patrick Gonzalez réclame un plan de 300 M€. La FFF a bien prévu un fonds d'aide spécial mais qui il ne devrait être doté que de 12 à 15 M€, en plus du budget annuel d'environ 85 M€ alloué à l'ensemble du foot amateur et de quelques mesures supplémentaires comme des avances sur trésorerie.
Le compte n'y est pas mais la fédération peut-elle réellement faire plus ? Avec cette crise, ce sont toutes les composantes de l'économie qui sont touchées. Tributaires de la bonne santé des sponsors et de leurs mécènes, les clubs amateurs voient tous leurs budgets se réduire de manière drastique. «On va se retrouver avec des partenaires financiers qui auront beaucoup de mal à reconduire leur engagement avec nous, rapporte Jean-François Gambetti, président du FC Sète (National 2). Moi j’ai des gros sponsors comme Suez mais c’est sur les petits que j’avais augmenté les recettes du sponsoring depuis deux ans. De 700 000 €, on est passé à 1,1 M€. On est allé chercher 400 000 € sur des petits contrats. Ce sont nos revenus principaux.»
Entre un quart et un tiers du budget va sauter
Pour l'ensemble des clubs des divisions nationales au niveau amateur, c'est entre un quart et un tiers du budget qu'il faut revoir. En plus des partenaires, l'ensemble des événements prévus d'ici la fin d'année doivent être annulés. Les tournois et autres buvettes si essentiels au fonctionnement de ces associations ne rapporteront plus rien cette saison. «Par exemple on avait un tournoi le 23 mai, qui à mon avis sautera. On comptait sur environ 50 000 €», regrette le patron du club sétois, qui évidemment a dû mettre tout le monde à l'arrêt, comme par exemple les joueurs disposant de contrats fédéraux. «J’ai juste mon directeur administratif et financier qui télétravaille». Le FC Sète est aujourd’hui fermé.
Même chose au FC Mulhouse (National 2), doublement touché par la crise. Outre l'arrêt des compétitions, la ville s'est retrouvée en plein cœur de l'épidémie déclenchée dans la région Grand Est. Le derby face à Schiltigheim le 7 mars dernier a dû se disputer dans un stade de l'Ill à huis clos. «99 % de nos partenaires économiques sont des partenaires régionaux, entame Eric Descombes. Toutes les entreprises mondiales ont été affectées, nous le serons aussi. Notre mécène américain a subi des pertes donc il faudra trouver un moyen de relancer. On réfléchit pour trouver des leviers économiques et repartir la saison prochaine, probablement de manière différente car qu’on le veuille ou non, le foot dans son ensemble est impacté. De toute façon, il y avait un avant, et il y aura un après coronavirus», prophétise le directeur technique et sportif, estimant à environ un demi-million d'euros le manque à gagner pour son club.
Quid des enjeux sportifs ?
«Pour les sponsors, c’est là que le risque est le plus gros. Il y aura des bouleversements qui vont s’opérer car toutes les entreprises vont souffrir quelle que soit leur taille. Le sponsoring des associations est certainement le cadet de leurs soucis en ce moment», prévient Thierry Nauleau. Selon le spécialiste de l’économie des associations sportives et fondateur de Nauleau Sport, les clubs amateurs doivent faire face à une période d'incertitude, surtout si la crise perdure. «Je pense que le moment charnière, ce sera deux mois. Au-delà, on va avoir beaucoup de clubs qui vont avoir des difficultés économiques. Je ne vois pas qui peut les aider même si la fédération a quelques moyens.»
L'aspect sportif semble presque secondaire aujourd’hui, même si les dirigeants eux-mêmes sont partagés sur la possibilité de reprendre ou non la compétition. Les clubs en auront-ils déjà la capacité et dans quelles conditions puisque les contrats se terminent au 30 juin ? Dans le cas où les championnats seraient définitivement suspendus, il faudrait là aussi trouver une parade. Arrêter les classements à la mi-saison pour être sur un même pied d'égalité, prendre en compte le classement actuel alors que certaines équipes n'ont pas toutes disputé le même nombre de matches, et quid des montées et descentes ? La solution miracle n'existe pas et la FFF devra statuer. Une seule chose semble à peu près sûre, l'hypothèse d'une saison blanche semble écartée. Les certitudes se font rares en ce moment, alors autant les prendre.