Info FM : de Tokyo à Extremadura en passant par Lorient, à la découverte du gardien franco-japonais Louis Thébault-Yamaguchi

Après avoir fait ses premiers pas en tant que footballeur au Japon, au FC Tokyo, Louis Thébault-Yamaguchi (20 ans) a rejoint le centre de formation de Lorient en 2014. Désormais à Extremadura, club de D2 espagnole, celui qui défend les cages de la sélection espoirs japonaise est revenu sur son parcours pour Foot Mercato.

Par Max Franco Sanchez
12 min.
Japon @Maxppp

Foot Mercato : Avant d'arriver à Lorient en 2014, tu commences à jouer au football au Japon, où tu as vécu la plus grande partie de ton enfance. Est-ce que tu pourrais nous décrire comment se passe le football quand tu es jeune au Japon ? Est-ce le même système de formation qu'en France ou est-ce différent ?

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Louis Thébault-Yamaguchi : C'est complètement différent, déjà il n'y a pas de centre de formation. Il n'y a que des sortes de clubs, où il n'y a pas forcément d'infrastructures qui permettent de vraiment former un joueur de football. Dans les centres de formation (en France, NDLR), il y a les études, tu peux faire toute ta vie dedans. Au Japon c'est le foot, tu rentres chez toi et tu vas à l'école. C'est une vie un peu plus normale je dirais.

FM : Comment ça se passe au niveau des entraînements ? L'exigence est-elle importante ?

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LTY : Mes tout débuts, quand j'ai fait mes premiers plongeons, quand j'ai touché le ballon pour la première fois, c'était vraiment à la cool, de l'amusement, comme un peu partout. Mais quand tu commences à te focaliser un peu sur le haut niveau, là tu commences à avoir cette exigence pour devenir footballeur professionnel, tu commences à ressentir ça. Je ne peux pas dire que le football japonais n'est pas exigeant, bien au contraire.

FM : Pourquoi fais-tu le choix de revenir en France, en 2014, à 16 ans ?

LTY : Je m'en rappelle, j'étais en seconde. J'étais dans un lycée et un système scolaire totalement francophone au Japon. J'avais les horaires basiques, 8h-17h. Les entraînements commençaient à 17h ou 17h30, j'étais tout le temps à la bourre, je devais traverser tout Tokyo tout seul avec mes sacs, c'était la galère. Tous les jours, la maison, l'école, le centre d'entraînement... C'était dur. Et puis à un moment, je n'arrivais plus à suivre au niveau des études. Avec mes parents, on a pris la décision d'aller dans un centre de formation français. J'ai passé des tests et ça a marché. A la base, je voulais vraiment devenir footballeur, mais il y avait les études à côté qui traînaient, donc on s'est dit pourquoi ne pas faire d'une pierre deux coups et faire les deux à la fois et ça a marché.

FM : Même si tu avais déjà cette culture française, tu as quand même dû t'adapter à la France ?

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LTY : Le changement, honnêtement, s'est super bien passé. Je n'étais pas le garçon complètement étranger qui débarquait et ne savait pas parler français. Je me suis intégré très rapidement. Footballistiquement par contre, j'ai dû m'adapter, j'en ai chié un peu, j'ai galéré. Ça m'a pris du temps, mais je peux dire aujourd'hui que j'ai pu rattraper le retard que j'avais par rapport aux autres.

FM : C'était un retard qui était plus physique, tactique ou technique ?

LTY : Plus au niveau de la compréhension du football en tant que tel. La culture du football me manquait complètement. Je débarquais, je ne savais pas ce qu'était vraiment le football en fait, j'ai l'impression d'avoir réappris le football pendant mes années de centre de formation à Lorient. Et techniquement, il m'a fallu de la réadaptation, ça c'est sûr.

FM : Quelles sont tes principales qualités et défauts en tant que gardien ? Comment te décrirais-tu en tant que gardien ?

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LTY : Je n'aime pas trop me comparer à d'autres gardiens, mais dans le style, je ressemble à Hugo Lloris, il y a un petit air. Pas très costaud, pas super imposant, mais dans les réflexes et la rapidité on est là.

FM : Comment arrives-tu en Espagne, à Extremadura, en 2017 ? Pourquoi ne pas avoir continué en France ?

LTY : Une fois que j'avais fini mes années de centre de formation à Lorient, j'avais envie de découvrir autre chose. Je suis parti de chez moi à 15/16 ans, je me retrouve dans un pays que je ne connaissais pas forcément même si j'avais déjà la culture. Le fait de voyager, de découvrir d'autres cultures, même footballistiquement, ça m'a toujours plu ! J'étais à fond ! On a eu des offres, on a cherché un peu avec mes agents. Ma première destination, c'était l'Espagne, c'était un peu un rêve ! Il y avait le côté foot et culture, c'est un tout. Au niveau du foot, l'Espagne c'est top ! C'est l'idée que j'avais, et donc dès que j'ai eu la chance, j'ai foncé !

FM : C'était tout de même une décision risquée de partir comme ça. Que t'ont dit les gens autour de toi ?

LTY : Je n'ai pas eu beaucoup de commentaires négatifs sur mes choix honnêtement. Mon entourage m'a poussé, m'a dit "tu devrais aller tenter !". A ce moment là, je cherchais du temps de jeu dans un niveau un peu plus élevé. A Lorient, je jouais énormément en DH, j'ai joué un peu en Nat' mais pas beaucoup, il me fallait du temps de jeu que je n'avais pas eu énormément jusqu'ici. On m'avait dit que des clubs cherchaient des gardiens ici. On a trouvé le club peut-être pas parfait, mais presque, pour moi ce n'était pas un risque mais une opportunité pour me développer.

FM : Comment s'est passée ton adaptation dans le pays et dans l'équipe ?

LTY : Ça a été assez facile, plus dur que quand je suis arrivé à Lorient forcément, parce que même si j'avais étudié l'espagnol pendant ma scolarité, la langue c'était pas forcément ça. Mais ce qui a facilité mon adaptation c'est le côté humain des gens ici, les Espagnols sont super sympas, super ouverts, tu déconnes un peu avec eux et ça y est, c'est tes amis, vous êtes les meilleurs amis du monde du jour au lendemain, ça c'était génial !

FM : Du coup, tu joues principalement avec la réserve, en D4.

LTY : En Espagne, il n'y a pas de limites, si ton équipe première est en D1, ta réserve peut être en D2, ça franchement c'est pas mal. En France, tu ne peux pas aller plus haut que la CFA. J'ai bien aimé ce concept là, l'année dernière l'équipe première est montée en D2, et nous notre objectif est de monter en D3, c'est vachement bien. L'équipe première vient d'être promue en D2, et est d'ailleurs la seule équipe professionnelle de la région. Est-ce que tu as ressenti des différences en termes de pression et d'exigence ? Oui, j'ai ressenti ça quand ils ont fait le vide des joueurs, ils ont mis beaucoup de joueurs dehors et en ont fait entrer énormément, c'est là où j'ai senti que le niveau a peut-être changé, et ça c'est vu dès les premiers entraînements.

FM : A Lorient les infrastructures étaient sûrement plus développées, mais sens-tu des différences au niveau des attentes, du traitement ou du professionnalisme qu'on demande aux joueurs ?

LTY : Je ne cache pas qu'à Lorient, c'était les meilleurs infrastructures de football que j'ai vues de ma vie. Le centre de formation était top, il avait deux ans quand je suis arrivé, il était tout neuf. Passer de ça à un club qui a été longtemps en troisième voire quatrième division ça change, ce n'est pas la même chose.

FM : Tu arrives dans une structure où tu es peut-être moins encadré, plus livré à toi même ?

LTY : Oui, mais ça ne m'a pas empêché de suivre les conseils qu'on m'a donné. Tout ce que j'ai appris à Lorient, je l'ai appliqué ici.

FM : En tant que gardien, est-ce qu'on te demande des choses différentes à ce qu'on te demandait en France ? Au niveau du jeu au pied, on dit souvent qu'en Espagne les gardiens doivent être bons balle au pied, c'est vrai ?

LTY : L'année dernière, je n'avais pas ressenti ça, mais en fin de saison là, quand on est monté, et en pré-saison, j'ai commencé à comprendre les intentions du coach, ça commence à venir. Mais honnêtement quand je suis arrivé, je m'étais dit "ah bah c'est tranquille, pas besoin de te casser la tête avec le jeu au pied". Quand je suis arrivé, le premier truc que m'ont dit mes coéquipiers c'est "purée t'as un bon jeu au pied", parce que j'arrivais de Lorient, où on m'avait formé à ça.

FM : Peux-tu nous parler de la D4 espagnole, l'équivalent du National 2 ?

LTY : Il y a une sorte de réputation en fonction des groupes (la D4 est divisée en 18 groupes, répartis en fonction de la situation géographique des équipes, NDLR). On dit souvent que le notre n'est pas forcément le plus fort. Mais ça change, tu peux jouer dans des stades qui ont accueilli des supporters de première division et le lendemain tu te retrouves à jouer dans des stades municipaux. Il y a de tout.

FM : Et au niveau du jeu, plutôt bourrin ou les équipes tentent-elles de faire le jeu ?

LTY : C'est les deux. Après quand tu arrives dans un champ de patates, tu ne vas pas commencer à jouer comme le Barça. Il y a un mix des deux, il faut s'adapter.

FM : Aurais-tu une anecdote à raconter ?

LTY : La semaine dernière, deuxième match de championnat. Je m'échauffe, et avant le coup d'envoi, je remarque que le but adverse est complètement décalé vers la gauche. J'ai remarqué que le terrain était en diagonale, les lignes étaient marquées en diagonale. Il y avait une différence de deux mètres au moins. Les buts étaient complètement décalés, ça m'a choqué, j'en ai parlé à l'arbitre, il m'a dit "c'est pas grave c'est un petit détail", ça m'a bien fait marrer. Tu peux avoir des trucs comme ça, mais lors de notre premier match de championnat par exemple, contre Mérida, qui a déjà joué en première division, t'arrives dans le stade, c'est énorme. C'est à vivre.

FM : Est-ce que tu recommanderai à un jeune français de venir tenter une aventure comme la tienne ?

LTY : Carrément ! Il ne faut pas avoir peur, c'est quand tu sors un peu de ta zone de confort que tu évolues le plus, il faut se faire mal. Et tu fais plein de rencontres, humainement tu changes complètement.

FM : L'Estrémadure, région que représente le club, est située entre l'Andalousie et le Portugal. Le club est basé à Almendralejo, ça doit changer de Tokyo ?

LTY : 30.000 habitants, c'est énorme (rires). C'est vraiment une toute petite ville, mais c'est sympa, les gens sont à fond dans le foot, c'est ça que j'aime. Dans un match de l’équipe première, il y a facile 10-12.000 spectateurs dans le stade, même en D3 l'an dernier c'était pareil, ça fait plaisir. Les gens sont à fond dans le foot, ils vivent de ça aussi.

FM : Pour revenir à la sélection, tu joues avec les équipes de jeune du Japon, comment ça s'est fait ?

LTY : Le tout premier contact que j'ai eu c'était en U15, une sorte de pré-selection, j'étais toujours au FC Tokyo. Je n'avais pas été sélectionné au final, et ma première sélection c'était en U17. C'est quand je suis parti à Lorient qu'ils ont commencé à m'appeler et qu'ils se sont intéressés à moi. Et depuis, ça a suivi.

FM : Tu as notamment fait le Tournoi de Toulon cet été...

LTY : Oui, mais j'ai fait un tournoi difficile, mais bon, c'est comme ça. J'ai fait mon premier match contre la Turquie, assez difficile, on a perdu 2-1. Après contre le Portugal on gagne 3-2 mais je me fais expulser, carton rouge, je finis le tournoi sur le banc et un peu en dehors du groupe parce que tu ne peux plus être sur le banc après. C'était assez compliqué.

FM : Tu dois être l'un des seuls jeunes japonais à jouer à l'étranger...

LTY : Exact. Eiji Kawashima et moi sommes les deux seuls gardiens japonais à jouer en Europe. Du coup, il devait y avoir beaucoup d'attentes ou de pression de la part des coéquipiers ? Oui, et du coach aussi. On a eu un nouveau coach après la Coupe du Monde U20, le staff a complètement changé. C'était ma deuxième sélection avec le nouveau staff, il a fallu ce temps d'adaptation, la pression aussi, franchement j'ai passé un tournoi assez compliqué.

FM : Que manque-t-il au Japon pour devenir un vrai outsider sur la scène internationale ?

LTY : En regardant un peu la Coupe du Monde, que j'ai eu la chance de commenter à la télévision japonaise, il nous manque de la solidité défensive. C'est le premier truc qui m'a choqué. Après il faut plus apporter individuellement. Collectivement, on a su montrer au monde qu'on savait jouer au foot, qu'on savait toucher le ballon, mais après il manque un peu d'individualité. Il y a quelques joueurs comme Inui qui peuvent faire la différence, mais il en faut plus des joueurs comme ça.

FM : Penses-tu que les jeunes japonais feraient mieux de partir plus tôt pour terminer leur formation en Europe ?

LTY : Franchement oui, j'ai toujours pensé ça, et c'est pour ça que j'ai été un des rares à le faire. Il y en a beaucoup qui veulent, je parle avec mes amis, mais ils n'osent pas, ils ont peur de ne pas s'adapter, de ne pas parler la langue, ils ont cette peur qui les bloque.

FM : Comment vois-tu ton avenir, en club et en sélection ?

LTY : En club, je me focalise sur cet objectif d'être titulaire en deuxième ou première division, dans un club en Espagne de préférence, ou même retourner en France, ça me ferait plaisir. Mais je veux continuer en Europe. Au niveau de la sélection, l'objectif sur le court-moyen terme c'est les Jeux Olympiques de 2020, mais ma priorité c'est de faire une Coupe du Monde avec le Japon. Les JO ce serait une étape avant la Coupe du Monde, au pays en plus !

FM : Ton objectif est-il de te stabiliser quelque part plutôt que de retenter une nouvelle aventure ?

LTY : Je ne sais pas honnêtement, pour le moment le but c'est de continuer ici, je suis bien, mais on ne sait pas ce qui peut arriver. Franchement je suis bien, je me fais pas trop de soucis, je continue mon chemin. J'ai prolongé cette année, ils m'ont fait signer un contrat costaud, j'ai encore deux ans et deux ans en option pour le club.

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