Cinq ans après avoir raccroché les crampons, Habib Bamogo a trouvé chaussure à son pied. L'ancien avant-centre n'a pas passé de diplômes pour devenir entraîneur mais a plutôt choisi un autre métier : recruteur. Aujourd'hui aux quatre coins de la France pour Everton, le Burkinabé s'est livré pour Foot Mercato sur son nouveau job, sa reconversion mais aussi sur l'actualité en Ligue 1. Entretien.
Foot Mercato : bonjour Habib. Cela fait maintenant cinq ans que vous avez arrêté votre carrière ? Comment se passe votre après-carrière actuellement ?
Habib Bamogo : l'après-carrière, clairement, ce n'est jamais quelque chose de facile. Le football, c'est quelque chose, au-delà du monde professionnel, qu'on a commencé depuis qu'on est tout petit. On est dedans depuis longtemps, on a fait les centres de formation, donc on est un peu rythmé par ça et c'est vrai que quand on arrête, le rythme de vie change, il faut retrouver de nouveaux objectifs parce que quoi qu'il arrive, on est toujours jeune dans la vie active. Et c'est toujours compliqué de retrouver un cadre dans lequel se remettre. Et surtout quand tu n'es pas très bien accompagné, ça complique la tâche un peu. Moi, je l'étais, j'ai pu trouver un poste qui me convient bien aujourd'hui, j'aime bien ce que je fais et ça me permet de rester dans le monde du foot parce que c'est ce que j'aime aussi. Franchement, à part la première année où c'est peut-être un peu difficile, ça va.
FM : depuis plusieurs mois désormais, vous êtes recruteur pour Everton, le club de Premier League ? Comment en êtes-vous arrivé là, à ce poste ?
HB : ça va faire un an janvier, donc ça passe super vite. Moi, j'ai une connaissance dans le foot, mon cousin, qui connaissait le recruteur qui s'occupe des pros en France. Il cherchait quelqu'un pour les jeunes. Du coup, j'ai rencontré tout le monde et on m'a dit qu'on partait sur un contrat de six mois pour voir si ça me convenait aussi. Moi, ça m'a plu, surtout que je m'occupe des jeunes donc je les vois un peu tous arriver, ceux qui vont devenir pro. C'est quelque chose qui me plaît vraiment.
FM : recruteur plutôt qu’entraîneur par exemple, une voie que beaucoup d’ex-footballeurs empruntent après leur carrière. Pourquoi ne pas avoir fait comme tout le monde en prenant en main une équipe ?
HB : entraîneur, il faut prendre conscience que ça prend plus de temps que ta propre carrière. Juste en étant joueur, ça prend du temps. Entraîneur, je pense que c'est encore plus de travail qu'être joueur. Et il faut avoir l'envie, l'envie de ne pas être chez soi, l'envie de manager des hommes, il faut avoir envie de tout ça. Moi, ça aurait pu me plaire mais le recrutement me va mieux parce que ça me permet d'avoir plus d'organisation personnelle et de moins dépendre des gens. Après, tous les chemins mènent à Rome aussi. Aujourd'hui, je fais ça mais je ne sais pas ce que je ferai demain, même si entraîneur, il faut des diplômes. Pour l'instant, je fais ça, ça me plait, c'est la voie dans laquelle je suis rentré. C'est vrai que beaucoup de gens se lancent dans cette voie d'entraîneur, mais ils ne vont pas tous au bout. C'est une question personnelle. Il y en a qui vont aimer ça, d'autres qui vont passer leurs diplômes juste pour rester à la formation. Moi, ça ne me disait pas spécialement grand-chose donc j'ai préféré faire recruteur.
FM : en quoi consiste votre travail de recruteur ? Quelles sont vos missions ? Expliquez-nous un peu une semaine type actuellement dans votre vie.
HB : je suis essentiellement sur la France. Je fais mon programme, je vais voir les matches. Chez les jeunes, je pense que c'est un métier un peu différent que quand tu recrutes chez les pros. Là, c'est à toi de les découvrir. Certains, ils sont à un âge où tu ne sais pas ce qu'ils vont devenir dans 2-3 ans donc il faut essayer de déceler les qualités et les choses que tu peux développer, c'est surtout ça.
FM : vous travaillez donc sur les jeunes pépites en France. A partir de quel âge vous commencez à repérer des futures stars du ballon rond ?
HB : c'est plus U16 jusqu'à U19. Ça me permet de voir les mecs qui arrivent petit à petit en pro. Je vois beaucoup de matches de clubs pros, donc je les connais un peu tous. C'est plus pour du contrat aspirant, même si aujourd'hui le foot a changé. Aujourd'hui, les petits signent pro à 16 ans. Les générations juste avant moi ou un peu avant, il fallait qu'ils fassent quinze matches en pro pour avoir leur contrat pro. Nous, il fallait qu'on fasse de grosses saisons en réserve pour signer. Et au fur et à mesure, ç'a été de plus en plus jeune. Maintenant, il y a des clubs français qui donnent des contrats pros à 16 ans. Mais ils n'ont pas trop le choix car il y a de la concurrence ailleurs. Le foot, c'est un marché qui est très ouvert depuis l'arrêt Bosman. Les jeunes ont le droit d'aller à l'étranger s'ils ont de bonnes sollicitations. Donc après, les clubs français se protègent comme ils peuvent mais ils donnent des contrats de plus en plus tôt. Je pars du principe que c'est un contrat mais qu'ils ont toujours en formation.
«Il faut comprendre que ta façon de voir le football, ce n'est pas universel»
FM : ça fait seulement quelques mois que vous êtes recruteur. Est-ce que durant cette première partie de saison, vous avez déjà repéré des joueurs à fort potentiel en France, ou c'est plus sur le long terme ?
HB : c'est vraiment plus sur le long terme. En une fois, tu peux déceler des choses chez quelqu'un mais c'est important d'avoir une continuité sur le suivi, pour voir le joueur dans plusieurs contextes. C'est plus un suivi, afin de minimiser les risques.
FM : comment ça se passe du coup lorsque vous avez repéré un joueur ? Vous allez le suivre durant plusieurs rencontres avant de le proposer à votre club ?
HB : j'essaye de me faire un avis personnel sur la question et après, si j'estime que le jeune est vraiment à fort potentiel, je tente d'aller voir plus loin. Après, ce sont tous les processus de recrutement qui ont lieu dans le monde entier, il n'y a rien de spécial. C'est comme quand les recruteurs en France vont voir les petits de 13 ou 14 ans pour les recruter : ils se font un avis et après, ils contactent la famille, etc...
FM : qu’est-ce que vous apporte votre expérience professionnelle dans ce nouveau métier ? Ayant été avant-centre, est-ce que c’est plus simple pour vous de dénicher une pépite offensive ou est-ce aussi délicat que pour un autre poste ?
HB : c'est pareil pour toutes les lignes. J'ai été attaquant, c'est vrai, mais j'étais là quand il y avait des exercices pour les défenseurs par exemple. Je sais comment ils travaillent, je sais comment les milieux travaillent... J'ai joué avec de très bons milieux de terrain, de bons défenseurs ou même de bons gardiens. Les bons joueurs, que ce soit attaquant, milieu, défenseur ou gardien, on les voit, peu importe le poste auquel on a joué.
FM : vous avez aussi évolué à l’étranger, comme au Botev Plovdiv en Bulgarie ou au Raja Ampat en Indonésie. Qu’est-ce que vous ont apporté ses expériences assez particulières ?
HB : avec ses expériences, j'ai compris qu'il y avait du foot ailleurs. Et les gens ne voient pas le foot de la même façon partout. C'est intéressant de savoir ça et de l'avoir vécu. En France, on a une façon de voir le football, et dans notre formation, on a été formaté pour ça. Mais quand tu t'exportes, il faut comprendre que ta façon de voir le football, ce n'est pas universel. Quand on parle d'adaptation à l'étranger, c'est surtout ça. Je suis aussi passé par l'Espagne, l'Angleterre... Et il n'y a pas un pays qui voit le football de la même façon. Dès que tu arrives dans un autre pays, il faut te mettre au diapason, il faut être à l'écoute parce qu'eux ne voient pas la chose comme toi tu la vois.
FM : recruteur, c’est quelque chose que vous comptez faire longtemps ou vous pensez à autre chose comme entraîneur ou adjoint par exemple ?
HB : sincèrement, aujourd'hui, ça me plait vraiment. Je ne suis pas quelqu'un qui peut faire quelque chose dans la contrainte donc si ça ne me plaisait pas, je ne le ferais pas. Et je ne peux pas me projeter. Aujourd'hui, ça me plait donc je ne me pose pas la question de savoir si demain je vais faire ci ou ça. Tant que ça me plait, que je suis content de le faire, que je suis content de me lever... Tant que j'aurais cet enthousiasme, je continuerais.
«La Ligue 1 ? Je trouve que c'est un peu trop scolaire»
FM : vous avez joué beaucoup d'années en France. Quel regard portez-vous sur la Ligue 1, un championnat que vous avez connu pendant presque dix ans ?
HB : personnellement, de ce que je vois, je pense que le niveau technique a un peu baissé. Je trouve que c'est un peu trop scolaire en fait. Les joueurs créatifs, il y a en de moins en moins. Quand je dis scolaire, c'est beaucoup dans ce qu'on t'apprend. C'est comme si on tuait un peu la créativité des joueurs. À mon époque, il y avait plus de créativité, il y avait plus de joueurs à risque. On nous laissait beaucoup de liberté. Après, je ne sais pas ce qui se dit dans les vestiaires, je n'y suis pas, mais j'ai l'impression que les joueurs jouent avec un truc dans leur tête en se disant "il ne faut pas que je fasse ça, ce n'est pas ce qu'on m'a demandé". J'ai un peu cette impression-là.
FM : l’Olympique de Marseille fonctionne bien aujourd'hui avec André-Villas Boas. Que pensez-vous de cet OM version AVB ?
HB : le problème, c'est que l'OM sera toujours comparé au PSG, mais Paris est sur une autre planète. Après, même quand il y a les Clasicos, je n'en tire pas de conclusion car quoi qu'ils fassent, Paris est au-dessus. L'OM, c'est un club compliqué. Dans le recrutement, tu ne recrutes pas qu'un joueur, tu vas recruter quelqu'un qui va pouvoir s'adapter à la mentalité du club. Il va y avoir des moments difficiles, et il faut faire avec ça, il faut avoir le mental pour résister à toute cette pression. Mais de ce que je vois, André Villas-Boas protège beaucoup ses joueurs donc il a quand même compris dans quel environnement il était. Il prend énormément de responsabilités devant la presse et c'est une très bonne chose car ça permet de mettre une bulle autour des joueurs et ça permet de les décontracter aussi. Et on voit aussi les résultats. Les joueurs sont beaucoup plus relâchés, ils en profitent. Au début de saison, c'était très moyen mais aujourd'hui, ils sont deuxièmes. La victoire contre Lyon leur a fait prendre conscience qu'ils pouvaient faire quelque chose de bien. C'était une belle victoire avec un gros match. Ça a montré qu'ils pouvaient faire de bonnes choses. Ils ont un entraîneur qui a une grosse expérience puisqu'il a été adjoint aussi et a eu des aventures difficiles en tant qu'entraîneur. Mais à Marseille, quand tu as des résultats, tu peux travailler sereinement, c'est un contexte. Ils sont dans une bonne dynamique mais il faut maintenir ça. Et après la trêve, ça va très vite.
FM : pensez-vous que l’OM peut tenir et terminer deuxième de Ligue 1 en fin de saison ?
HB : pour moi, l'OM, c'est un club européen. Comme je disais, il y a quand même des joueurs d'expérience. Le coach sait quand même manager les hommes, on le voit avec Payet qui est mieux. Il va y avoir le retour de Thauvin aussi, même si ça va mettre un peu de temps. C'est toujours bien d'avoir un joueur comme ça qui, au départ, peut rentrer 20 ou 30 minutes et qui va apporter encore plus de technique. Il va y avoir des retours. Je pense que c'est de bon augure, ça sent bon, mais on verra.
FM : quel est le programme pour vous pour les mois à venir et l'année 2020 ?
HB : pour le moment, ça se passe bien. Aujourd'hui, je suis dans ça, ça me plaît, je suis toujours dans le foot, donc on verra où ça me mène. Si demain, je ne suis plus recruteur, c'est que je dois passer à autre chose.