Au centre des discussions après le huitième de finale aller de Ligue des champions entre le Borussia Dortmund et le PSG, le 3-4-3 est un dispositif tactique qui a de plus en plus la cote auprès des entraîneurs. Mais comment bien le maîtriser et cibler ses faiblesses ? La réponse avec l’ancien entraîneur du Stade Malherbe de Caen, Fabien Mercadal.
Le 18 février dernier, peu avant le coup d’envoi du match très attendu entre le Borussia Dortmund et le PSG, c’est la surprise ! Thomas Tuchel concocte un 3-4-3 alors que son PSG avait évolué quasi-exclusivement en 4-4-2 depuis décembre. Dortmund, de son côté, a aussi privilégié ce dispositif cette année et cela s’est ressenti pendant le match. Les Allemands l’ont emporté (2-1) tout en laissant l’impression d’avoir complètement maîtrisé leur sujet au contraire des Parisiens. Car le 3-4-3 est un dispositif particulier qui nécessite souvent un temps d’adaptation pour être complètement assimilé, surtout quand, culturellement, les jeunes joueurs sont formés aux défenses avec une ligne de 4 derrière. Chelsea, en 2016-2017, a remporté la Premier League en utilisant ce système et, actuellement, le RB Leipzig, Wolverhampton et l’Atalanta Bergame (avec une légère variante) réalisent une belle saison dans cette organisation. Quel est donc le secret pour bien le maîtriser ?
Un système offensif malgré les apparences
« Tout d’abord, il est important de comprendre que même si on peut avoir l’impression qu’il s’agit d’un système à vocation défensive, le 3-4-3 est en réalité un système qui permet de récupérer le ballon assez haut et de presser. Son avantage, c’est que malgré la défense à 3, on n’isole pas les pistons situés dans les couloirs car les deux attaquants excentrés devant peuvent les aider et doubler ces couloirs en plus des défenseurs centraux droit ou gauche. Ce système permet donc de profiter de l’avantage de jouer à 3 défenseurs pour bien protéger l’axe et de bien relancer, souvent en supériorité numérique face à 2 attaquants, quand on a le ballon. En phase offensive, les pistons peuvent évoluer très haut comme des ailiers avec 3 attaquants qui rentrent vers l’intérieur. L’occupation du terrain en phase offensive est très intéressante dans ce système », explique Fabien Mercadal, ancien entraîneur de Caen et du Paris FC.
Pistons très doués offensivement mais friables pour défendre dans leur dos, ailiers qui aiment rentrer vers l’intérieur, différents profils de défenseurs qui se complètent. Plusieurs raisons peuvent donc pousser un entraîneur d’opter pour un 3-4-3 selon Fabien Mercadal : « tout dépend du contexte, de la forme et des forces du moment. Ça peut aussi dépendre du système qu’utilise l’adversaire car la meilleure façon de contrer un 3-4-3 est d’évoluer soi-même en 3-4-3. Imaginons que l’on joue en 4-4-2, si les pistons adverses sont vraiment bons, cela va forcer notre latéral à sortir sur lui, ce qui va créer structurellement un grand espace entre lui et le défenseur central le plus proche. Or, cet espace peut justement être exploité par l’attaquant excentré dans la ligne de 3 devant. En défendant en 3-4-3 ou 5-4-1, on n’a pas ce problème puisque qu’un des trois centraux peut combler l’espace sans mettre en danger l’équilibre de l’équipe. »
Dans un 4-4-2, l'équipe qui affronte un 3-4-3 s'expose à une situation difficile à gérer avec le déplacement d'un latéral vers le côté qui va laisser un espace considérable entre lui et le défenseur central que pourra exploiter l'adversaire
Défendre en 3-4-3 ou en 5-4-1 face à 3-4-3 permet de palier cette faille structurelle avec la présence d'un central supplémentaire pour gérer l'espace "vide"
L’animation et les profils idéaux pour jouer en 3-4-3
Un entraîneur peut aussi opter pour un 3-4-3 car il détient dans son effectif les joueurs adéquats pour ce dispositif. « Si vous avez 3 défenseurs axiaux complémentaires avec au moins un joueur capable de ressortir les ballons proprement, c’est très intéressant. L’idéal serait même d’avoir un bon gaucher relanceur en axial gauche et un bon droitier relanceur en axial droit avec entre les deux un défenseur bon en couverture et aussi capable de gérer la profondeur. Toujours dans l’idéal, il faudrait que les axiaux excentrés modernes qui aient un profil qui se situe entre un latéral et un vrai central pour coulisser parfaitement. Ensuite, il faut au moins 4 pistons car c’est un poste très exigeant physiquement. Avoir 2 remplaçants pour faire souffler les 2 titulaires me paraît indispensable si on souhaite instaurer ce dispositif à long terme. Ce sont des éléments clés de l’équipe offensivement et défensivement. Un entraîneur peut éventuellement associer un piston à vocation défensive d’un côté avec un piston à vocation offensive de l’autre côté, en équilibrant avec les deux attaquants excentrés devant. C’est-à-dire qu’on aurait d’un côté un piston offensif qu’on associerait avec un attaquant excentré plus travailleur et, de l’autre, un piston plus défensif avec un attaquant excentré qui pourrait justement se positionner plus sur le côté et faire la différence en un-contre-un, sans avoir besoin de combiner avec un autre joueur. Au niveau du double pivot au milieu, il faut des joueurs capables à la fois de bien défendre et bons techniquement car si tu fais le choix d’être dans la possession, il faut qu’ils soient capables de renverser le jeu mais aussi d’évoluer un peu plus haut sur le terrain. Devant, il faudrait que les 3 attaquants puissent rentrer à l’intérieur pour libérer les pistons. Deux profils de meneurs de jeu sur les côtés sont donc plus intéressants et, surtout, si ce sont des faux pieds soit un droitier à gauche et un gaucher à droite pour apporter un danger constant quand ils rentrent vers l’intérieur. Dans ce dispositif, on va aussi demander à l’attaquant axial de rester haut et de ne pas trop dézoner pour laisser justement de la place aux pistons et aux attaquants excentrés », détaille Fabien Mercadal.
En se basant sur cette description, on peut comprendre pourquoi le Borussia Dortmund a dominé le PSG alors que les deux équipes jouaient dans le même système. Du côté jaune et noir, on avait deux axiaux excentrés, un gaucher à gauche (Zagadou) et un droitier à droite (Piszczek), capables de porter le ballon et le sortir proprement, avec Hummels entre les deux, qui assurait la couverture et dont les bons pieds ne sont plus à prouver. En double pivot, deux milieux à la fois fins techniquement et particulièrement physiques dans les duels. Les pistons Guerreiro et Hakimi sont peut-être ce qui se fait de mieux à ce poste actuellement en Europe tandis que Hazard et Sancho, sont deux joueurs qui affectionnent les fameux demi-espaces entre la ligne du milieu et des défenseurs et qui aiment aussi se déplacer proche de la ligne de touche pour permettre aux pistons de rentrer à l'intérieur. Quant à Håland, il est un point de fixation ultime aussi capable de prendre la profondeur. Lucien Favre possède donc dans ces rangs les profils parfaits pour jouer en 3-4-3. Du côté du PSG, la configuration était différente. Kimpembe et Marquinhos (surtout le premier) n’ont pas beaucoup porté le ballon et se sont contentés soit de jouer sur Verratti ou Gueye soit d’allonger le jeu sans véritable conviction. On a d’ailleurs vu à de nombreuses reprises, 5 joueurs très bas en phase de relance, avec 3 centraux très proches les uns des autres, et positionnés derrière la première ligne de défense de Dortmund, ce qui n’a pas permis aux Parisiens de bien occuper le terrain et de déséquilibrer l'adversaire en jouant verticalement. D’où cette impression de possession stérile.
Contre Dortmund, le PSG s'est souvent retrouvé dans cette configuration à la relance, avec 3 centraux proches les uns des autres et le duo Verratti/Gueye qui venait chercher les ballons bas. Du coup, 5 joueurs (+ le gardien) du PSG se retrouvaient derrière la première ligne de défense adverse, ce qui compliquait la tâche des 5 joueurs plus offensifs qui se retrouvaient face à 10 adversaires
En étant positionné plus haut, Kimpembe, Marquinhos, Verratti et Gueye auraient permis à Thiago Silva, un bon relanceur, d'avoir des lignes de passes directes pour trouver Neymar dans des conditions plus favorables
Dans cette configuration, les 3 attaquants parisiens auraient pu se retrouver dans des situations de 3 contre 3 avec une possibilité de dédoublement du latéral pour créer une supériorité numérique
De plus, les pistons n’ont quasiment pas été sollicités (surtout Meunier) en attaque, du coup, le PSG n’a pas du tout exploité la largeur du terrain, ce qui aurait laissé davantage d’espace au cœur du jeu pour Neymar, Di Maria et Mbappé, qui ont été étouffés par la défense des Borussens, qui n’ont pas hésité à faire des prises à deux sans se déséquilibrer quand Neymar touchait le ballon. Mbappé, et sa propension à dézoner, n’avait pas non plus le profil idéal pour fixer la défense de Dortmund dans ce 3-4-3, qui aurait aussi permis à Neymar et Di Maria d’avoir aussi plus d’espaces à exploiter. Généralement, les équipes qui ont du succès en 3-4-3 sont celles qui remplissent les cases évoquées par Fabien Mercadal.
Comment exploiter les faiblesses du 3-4-3 ?
Mais comme chaque dispositif tactique, le 3-4-3 possède aussi des faiblesses que l’adversaire peut exploiter. «Face à un 4-3-3, l’équipe peut être en difficulté si la pointe basse adverse se positionne entre le double pivot et l’attaquant car s’il est capable de se retourner rapidement et porter le ballon, il peut déséquilibrer l’équipe. Puisque si un des deux milieux sort, il laisse son partenaire face à deux milieux avancés adverses. D’un autre côté, un 3-4-3 peut vraiment souffrir si le point fort de l’adversaire est le milieu de terrain. Car vos pistons peuvent être protégés soient par les attaquants excentrés soit pas les défenseurs excentrés mais en faisant ça, vous affaiblissez votre milieu de terrain », synthétise Fabien Mercadal. Il aurait aussi pu ajouter qu’un 3-4-3 très porté vers l’offensive crée d’immenses brèches que peut exploiter l’adversaire en transition, surtout s’il possède des joueurs rapides et techniques sur les côtés.
Pour se protéger de ces failles, posséder des milieux de terrain capables de colmater ces brèches comme le faisait merveilleusement bien N’Golo Kanté à Chelsea est essentiel. Mais vu que ces joueurs restent rares, opter pour un dispositif différent en défense est une bonne solution. Contre le PSG, quand Dortmund n’avait pas réussi à récupérer le ballon dans le camp adverse, la formation se réorganisait en 5-4-1 de manière à bien occuper toutes les zones du terrain et effectuer des fameuses prises à deux sans se mettre en danger car si un des défenseurs sortait très haut, toute la ligne arrière coulissait pour former temporairement une ligne de 4 derrière afin de conserver l’équilibre de l’équipe. La même chose se produisait au milieu de terrain avec Sancho et Hazard qui redescendaient bas.
Défendre en 3-4-3 pour une équipe qui n'est pas habitué à ce système peut s'avérer dangereux. On l'a vu avec le PSG et ses défenseurs qui défendaient quasiment en individuel face à leur adversaire direct. Sauf que Guerreiro et Hakimi se sont faits un plaisir de rentrer parfois vers l'intérieur. Même chose pour les attaquants excentrés qui ont parfois dézoné très loin et attiré avec eux Marquinhos et Kimbempe, qui ont laissé beaucoup d'espace derrière. Les deux buts de Dortmund face au PSG sont d'ailleurs venus de phases de jeu où les joueurs ont changé de position (Guerreiro qui rentre à l'intérieur sur le premier but et Reyna qui a surchargé le côté droit sur le deuxième but).
Sur le premier but de Dortmund, le déplacement de Guerreiro vers l'intérieur et de Reyna vers l'extérieur a perturbé la défense parisienne et des espaces se sont ouverts dans le cœur du jeu tout en créant une supériorité numérique du côté opposé
Dans le 3-4-3 parisien, les joueurs défendaient souvent en individuel et suivaient les joueurs loin de leur zone. Sur le 2e but, le déplacement de Sancho vers la ligne de touche a attiré Kimpembe, celui de Reyna (attaquant gauche) vers le côté droit a aussi attiré Marquinhos, qui du coup ont laissé Silva seul en un-contre-un face à Håland
Offensivement, pour perturber l’adversaire, l’équipe évoluant en 3-4-3 peut transformer sa formation en 4-3-3, juste en demandant au milieu central d’évoluer 10 mètres plus haut comme l'a parfois fait Marquinhos lors de la saison 2018/2019. Un dispositif qui, on l’a vu précédemment, peut mettre en difficulté une formation en 3-4-3. « Le 3-4-3 est vraiment un système moderne et intéressant car en bougeant les joueurs juste de quelques mètres, on change complètement de configuration et de système. Et c’est une difficulté supplémentaire à gérer pour l’adversaire », conclut Fabien Mercadal.